CDLT

Hater-generated content bi-mensuel sur le monde du travail. Sort le jeudi mais le mood est "comme un lundi".

image_author_CDLT_
Par CDLT
13 avr. · 4 mn à lire
Partager cet article :

Une question un peu con sur la tech

Pardon d'avance, je suis pas l'otarie qui glisse le plus loin

La tech toniqueLa tech tonique

Ce week-end, entre deux bombes caloriques, j’ai consommé du contenu :

“Adieu metavers, petit ange parti trop tôt”, sur Usbek et Rica, qui raconte comment après avoir pris un virage à 90 degrés pour aller all-in sur le métaverse, Zuck prend un virage à 135° si je calcule bien, pour 1/ faire demi-tour, si tu reviens j’annule tout 2/ aller dans l’autre sens, autrement dit, l’intelligence artificielle.

Cet article sur comment Elon Musk a déclaré sa petite guéguerre à Substack avec plein de petites techniques à la con, et comment pour rigoler il a supprimé le “w” du logo de Twitter sur leurs bureaux de San Francisco, après avoir remplacé le logo du site par un doge.

Ce thread qui résume le premier rapport préliminaire sur la gestion de la banque FTX - la banque américaine des boîtes de crypto et des startups - qui montre que le truc était tellement géré avec le cul que les banquiers faisaient des blagues sur le fait qu’ils savaient même pas où étaient passés des millions de dollars d’assets.

Et puis j’ai pensé à Elisabeth Holmes et consorts, à leurs millions levés et à leur une de Forbes avant qu’on découvre que c’était des scams, à Adam Neumann et son grand n’importe quoi chez WeWork (je recommande WeCrashed, le podcast qui a donné la série) mais à qui Andreessen-Horowitz refile un chequos, je pense à quand on nous a dit que le internet of things serait a thing et que la star du CES était une fourchette connectée pour perdre du poids, mais qu’en fait non, c’était LA VOIX le futur d’Internet, AH NON en fait c’est la VR. J’ai pensé à cette conversation entre Jack Dorsey et Elon Musk, j’ai pensé à quand Bill Gates a installé Windows Movie Maker et réalisé que son expérience était absolument à chier, j’ai repensé aux NFT, à Clubhouse qui était le futur du social media, je m’arrête là.

Et là, je me suis,
pour la première fois de ma vie je dois l’avouer,
vous moquez pas,
posé une question.

Une question con

Est-ce que dans la tech, y’aurait pas un gros gros paquet de neuneus ?

J’ai dit les termes. Maintenant je vais les nuancer :

  • par “tech” je résume en un mot des réseaux ultra-complexes combinant humain, philosophie, technologies, finance, journalisme, bref cette sorte d’entité floue, semi-divine, lointaine qui a du pouvoir sur nous mais qu’on a pas choisie, suivie par beaucoup d’adorateurs béats.

  • par “gros gros paquet” j’entends pas “tout le monde” bien évidemment, et je ne dis pas que tous les gens pré-cités sont concernés.

  • par “neuneus”, je dis qu’on a (je parle pour moi, mais avouez je suis pas seule) tendance à considérer que certaines personnes qui incarnent, développent, financent la tech sont peut-être avides, cupides, mal-intentionnées, malhonnêtes, mais on se dit assez peu qu’elles sont peut-être pas franchement fût-fût. On pense qu’elles comprennent quand même des trucs qu’on comprend pas. Alors imaginez, juste une seconde, si en fait, beaucoup de gens qui décident de trucs qui littéralement changent nos vies, sont en fait pas les crayons les mieux taillés de la trousse ?

À m’être fait cette liste dans ma tête, j’ai eu l’impression d’être, tel Calogero, face à la mer.

D’assister à cet éternel ressac de génies visionnaires portés aux nues, suivis en masse par tout un tas de suiveurs en masse, qui annoncent un next big thing après l’autre qu’il ne faut absolument pas louper, et en fait non c’était pas si big, ou pas si vrai, ou c’était sacrément mal foutu, ou carrément faux, ou ces génies n’étaient en fait pas les fromages les plus affinés du terroir, ou alors pas tout le temps, ce qui est humain hein.

Qu’on s’entende, si c’était facile de prédire l’avenir, ça se saurait, et c’est un peu gratuit de dire a posteriori qu’une décision était mauvaise (même si bon, parfois, le bon sens…).
Mais je crois qu’on donne trop de crédit à :

  • des gens qui ont eu une bonne idée une fois : trouver le bon truc au bon moment, c’est sacrément fort mais c’est aussi, un peu, enfin parfois, un peu de chance. Un peu. Ça veut pas forcément dire qu’une personne 1/ a eu l’idée seule 2/ a été la raison unique pour laquelle ça a marché et s’est développé 3/ est brillante 100% du temps. Et ce dernier point est vraiment important.

  • des gens charismatiques : là je vais pas vous faire un dessin, mais globalement à peu près 100% des plus gros fails sont partis de gens qui vendaient mieux qu’iels ne délivraient, et qui ont sacrément vendu.

  • la tech en elle-même : qui est devenue synonyme de progrès, que lui-même on considère un peu facilement comme une vague inévitable, que si on la loupe on est dans la merde, au point qu’on oublie un poil de la questionner.

Et donc, parce que je pose des questions con, mais j’essaie de ne pas apporter que des réponses con, je me dis que :

  • si la tech a un impact absolument indiscutable sur nos vies

  • et que beaucoup des gens qui décident de cet impact sont pas les lampadaires le plus éclairés du trottoir

Peut-être qu’on a intérêt, je sais pas, à tenter de reprendre les choses en main.

Tiens, prenons l’IA.

L’IA ça c’est le next big thing. Pour prédire des trucs, je suis généralement pas la corde la mieux tendue du ring, mais là je prends peu de risques, puisque c’est déjà là, et que c’est déjà en train de foutre le dawa. Et que même certaines des personnes sus-mentionnées - qui sont pourtant pas les truites les mieux oxygénées de la rivière - disent que c’est dangereux et qu’il est plus que temps de faire une pause.

Ça paraît absurde, hein ? Faire une pause. On peut pas faire une pause, c’est inéluctable la tech. Elle s’impose, et après on dispose. Oui mais si, en fait, non ?

L’Italie a déjà mis le holà, enfin techniquement le ola (LV3 tavu) sur ChatGPT. Temporaire. Le temps de réfléchir, comprendre, légiférer, cadrer, plutôt que d’attendre que le raz-de-marée soit passé pour commencer à évaluer ses effets. Les raisons que l’Italie avance se tiennent plutôt : protection des données personnelles, respect de la RGPD (qui implique notamment qu’on a le droit de demander la modification des données possédées sur nous). C’est pas débile, au fond. C’est à ça que servent nos représentant·es élu·es, quand des gens qu’on a pas choisi·es - et qui sont pas toujours les grands huit les plus huilés du parc d’attraction - prennent des décisions pour nous qui touchent nos vies et nos jobs.

Une action est possible, elle est notamment politique, et TMTC l’action politique ça commence souvent par la mobilisation des gens.

Mais si, je vous assure

Pour illustrer, et boucler avec un peu d’espoir, je termine avec une dernière reco :

Cet épisode de l’excellent podcast 99% invisible qui raconte comment “Amsterdam, capitale mondiale du vélo” c’est pas arrivé tout seul du tout. On dirait hein, pourtant ?
Entre les années 50 et 70, pourtant, la voiture était considérée, aux Pays-Bas et partout ailleurs, comme une avancée inévitable, à laquelle il allait falloir adapter les villes. Y’a eu des tonnes de projets pour détruire des quartiers et bétonner des canaux pour se préparer à cette technologie non-négociable.
Tiens, regarde Amsterdam dans les 70s :

Il s’est passé quoi alors ?

Il s’est passé qu’avec le développement de la voiture dans un pays où plein de gamins se déplaçaient à vélo, ça a fait des accidents.

COMME PARTOUT AILLEURS.

Mais ailleurs on s’est dit que c’était l’un des effets inévitables du progrès. Pas aux Pays-Bas. Oh, évidemment, y’a eu des gens pour dire que les cyclistes avaient qu’à mieux cycler. Mais y’a aussi eu des assos de parents véner, des assos de cyclistes véner, des assos écolo véner, qui se sont exprimées, organisées, rendues visibles, qui en sont même venues à pondre des dossiers de recos d’urbanisme qui ont été adoptées quasiment telles quelles. Bref, des gens se sont véner, et ont rendu l’inévitable progrès assez évitable.

Je vous fais pas une conclu, vous l’avez.

CDLT,

Sev