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Par CDLT
19 oct. · 6 mn à lire
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Les 12 étapes du désengagement professionnel

Quiet Quitting, Grande Flemme : enquête exclusive auprès de ces gens qui s'en foutent

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Ah j’sais pas vous, mais moi j’en ai ras-la-casquette. “Quiet Quitting”, “Grande Flemme”, désengagement et compagnie sont devenus la tarte à la crème des discussions RH du moment. Je dois avouer que quand j’en ai parlé pour la première fois je pensais sincèrement qu’on allait réaliser que c’était du flan. Enfin, pas du flan, mais juste la résultante d’une situation post-pandémie complexe, qui a changé la place du taf dans la vie des gens, et qui allait donc forcer les employeurs à recalibrer leurs promesses et leurs attentes. Mais en fait non.

Or, qui dit “mettre la faute sur les gens qui bossent pour ne pas avoir à questionner leurs conditions de travail” dit également “moi qui m’énerve progressivement, à coups de posts Insta et compagnie, mais la colère n’arrive pas à retomber” et qui dit “colère qui retombe pas” dit “article sur CDLT”, et nous voilà.

Et comme j’avais pas non plus envie de faire un article méga-sourcé méga-long sur le rapport des Français au travail (qui ne ferait au final que répéter celui-là), je vais faire un classement ironique des 12 étapes du désengagement professionnel qui diront tout ce que j’ai à dire sous une grasse couche de lol parsemée des copeaux de parmesan de la rage.

Comme ça vous pourrez, si vous êtes concerné·e, vous auto-flageller et rectifier le tir, et si vous êtes employeur, dire des choses comme “les gens veulent plus bosser” ce qui, c’est prouvé, fait autant de bien au muscle cardiaque que 3 minutes d’exercice modéré.

Les 12 étapes du désengagement professionnelLes 12 étapes du désengagement professionnel

ÉTAPE 1/ Vous laissez échapper un “on sauve pas des vies” mais pour la première fois vous réalisez que c’est vrai*

*évidemment, ce point ne vous concerne pas si vous travaillez dans la santé, les services d’urgence, la sécurité publique ou que vous êtes cette personne qui se pointe toujours aux déménagements des potos.

Vous étiez là, en charrette, haut-les-coeurs, café en intraveineuse, tendu·e du string pour cause de deadline dans moins de 24h, face à quelqu’un d’encore plus stressouille que vous, et dans un grand acte de bonté, vous lui avez sorti cette phrase classique des métiers du tertiaire.
Sauf que soudain, une vérité vous a éclaté au visage : elle est vraie, cette phrase.
Mais elle n’est pas seulement vraie : elle est un euphémisme.
Parce que non seulement vous ne sauvez pas des vies, mais vous n’êtes d’un coup pas certain·e que vous les rendez meilleures non plus.
Et toutes les excuses que vous vous trouviez jusqu’ici (“c’est pas un métier super éthique, mais vaut mieux qu’il soit fait par des gens comme moi”, ou “je participe à l’économie et à la création d’emplois” ou “ça existerait même si j’étais pas là”) volent en éclats.
Vous vous imaginez parler à l’enfant que vous étiez et qui plus tard, dans la vie, voulait être super-héros, et lui expliquer que les bannos pour l’acquis’ elles vont pas se faire toutes seules, et la déception dans ses yeux vous transperce jusqu’au pancréas.

C’est le début de la fin.

ÉTAPE 2/ Vous demandez tout haut si vous êtes vraiment nécessaire à cette réunion

C’est sorti tout seul. D’habitude, c’est un dialogue qui se passe dans votre tête, mais là il y a eu déviation et votre cerveau s’est directement connecté à votre bouche parce qu’il en a par-dessus-la-jambe de servir à rien. Vers vous se tournent des regards de diverses natures. Pour un tiers des gens présents (celleux qui vous ont invité·e à cette réunion), c’est un regard d’animal blessé. Pour un tiers, c’est un regard ahuri-attentiste, surpris par l’audace mais curieux de voir ce qui va se passer. Pour le tiers restant, qui n’a rien non plus à foutre ici, c’est un regard d’espoir : vous êtes peut-être le poisson-pilote de leur libération prochaine.

Vous venez de faire un trou de cigarette dans le tissu de canapé de la vie professionnelle. C’est impardonnable.

ÉTAPE 3/ Vous ne sautez pas sur la première occasion d’annuler vos vacances pour montrer à quel point vous êtes essentiel·le

C’est un sentiment doux-amer, d’annuler son week-end ou ses vacances pour un truc de taf. Il y a un côté “j’ajoute encore une ligne de crédit à mon couple/mes amitiés et un jour ça sera payback time” mais aussi un côté mamma qui aime bien que son fils trentenaire soit un gros incapable pour qu’il reste un peu dépendant.

Mais voilà, un jour vous vous dites un truc comme “ben si iels peuvent pas se débrouiller sans moi c’est qu’il y a un problème” ou “j’avais bien dit qu’il fallait recruter” et là, le drame c’est qu’il n’y a pas de retour en arrière.

La prochaine fois que quelqu’un dira “ah oui, la réunion est lundi… c’était le seul créneau des clients… mais t’es off lundi…” cette phrase où on ENTEND les points de suspension à l’oral, et que vous regarderez cette personne avec un petit sourire en attendant qu’elle en arrive elle-même à la bonne conclusion, là vous êtes déjà de l’autre côté, on ne peut plus rien faire pour vous.

ETAPE 4/ Vous faites des calculs

Je mentionne souvent que j’ai fait un Bac L, comme si j’aimais la littérature, alors que je déteste surtout les maths. Je suis donc bien placée pour savoir que quand on commence à faire des calculs, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres de navigation privée sur Mon Compte Formation pour faire un bilan de compétences.

Ça commence par des trucs anodins. Comme, quand on est cadre, de calculer son vrai salaire horaire, celui sur le vrai nombre d’heures qu’on réalise. Ou calculer le nombre d’années qu’il nous reste avant la retraite, avec un petit prorata du recul de l’âge de départ sur les 15 ans écoulés appliqué sur les années qui nous restent (“128 ans ?”). Ou de combien il faut qu’on gagne d’ici 10 ans pour avoir l’espoir d’acheter un studio sur plans dans une zone non-inondable. Et là vous avez pris une décision, qui est soit de changer de taf, soit de faire cette chose innommable que TikTok appelle “Act your wage”, et qui consiste à faire le taf pour lequel vous êtes payé·e, mais pas plus. C’est dégueulasse, j’espère que vous en avez conscience.

ETAPE 5/ Vous calez une réunion quotidienne sur l’heure du dej pour pas qu’on vous emmerde

Vous savez, ce créneau entre 12h30 et 14h où y’a toujours quelqu’un pour caler une réu “parce que c’était le seul moment où tout le monde était dispo”. Généralement, cette personne va vous faire une phrase à points de suspension (cf. ci-dessus) pour savoir si… peut-être… juste pour cette fois… Mais on vous la fait pas à vous. Vous vous êtes levé·e ce matin et vous avez choisi la violence, celle qui consiste à dire “mais tu sais que j’ai besoin de manger pour vivre ?”. Brutal.

ETAPE 6/ Vous ignorez des trucs gratuits

Oh là malheureux·ses.
Mettez-vous deux minutes à la place de votre boîte, merde. Elle sait qu’elle vous sous-paye et qu’elle vous sur-pressurise, mais sa santé, à elle, elle dépend du fait que vous saurez trouver dans des petits bonheurs annexes (de type sandouiches gratos à la cafet, afterworks en open-bar ou cours de yoga) la motivation pour fermer courageusement les yeux sur la réalité.

ET LÀ VOUS FAITES QUOI ? Vous allez pas boire des coups ? Et vous voulez quoi aussi ? Des jours de récup ? Tout part en couille.

Là on est les deux pieds dans la seconde catégorie du désengagement, celle des comportements asociaux, qui consistent à vous concentrer sur votre travail et à ne pas plonger dans tous les à-côtés qui font partie du travail mais tacitement, et qui vous coûtent du temps perso en échange d’être bien vu·e des gens qui comptent. C’est le début de l’escalade nucléaire du rien-à-battre.

ETAPE 7/ Vous vous isolez pour mieux bosser

Par exemple, vous décidez de télétravailler pour être plus efficace. Ou alors, degré suivant de l’insulte, vous avez booké une salle de réunion pour y travailler seul·e sans qu’on vous dérange. Mais qu’est-ce qui vous a pris, sérieux ? C’est quoi ce comportement antisocial là ? Ça va pas la tête ? Vous avez pas compris que la personne qui vient derrière votre épaule dans l’open space vous interrompre pour un truc “qui prend 5 minutes” et qui prend pas 5 minutes et qui aurait pu être un message Slack, elle est pas là pour vous faire chier, elle participe de “la culture” ? Vous avez pas compris que ce sont ces petits échanges, cette succession de pertes de temps qui s’additionnent, qui sont le lubrifiant de cette grande partouze corporate qu’on appelle l’ambiance de boîte ?

ETAPE 8/ Vous calez un rdv médical en journée

Alors là vous êtes en donut à contre-sens sur l’autoroute du bat-les-steaks. Généralement, c’est le résultat d’une réflexion pétée du genre que le fait que vous soyez en vie et en bonne santé c’est aussi utile pour le travail, et que votre week-end est déjà bien trop chargé de trucs chiants à faire. Et vous vous retrouvez à cliquer sur Doctolib sur un créneau de RDV en plein milieu d’aprem en mode “le monde ne s’effondrera pas si je me fais faire un frottis sur les heures de taf”. Mais qu’est-ce que vous en savez, hein, que le monde ne s’effondrera pas ? Vous aurez bien l’air bête si c’est le cas. À bon entendeur.

ETAPE 9/ Vous cessez de proposer/accepter des trucs qui vous donneraient plus de taf

Ça c’est le début de la fin de votre carrière météorique. Vous avez cessé de proposer de faire des trucs qui sont super, mais qui vous causent plus de travail en échange de rien, ou vous avez refusé de reprendre le taf de votre boss en burnout sans prendre son titre. La sentence est irrévocable : votre manager ne coche plus la case “proactif·ve” sur votre évaluation, ce qui est l’équivalent corporate du marquage des boeufs pour l’abattage. Profitez du pâturage, y’en a plus pour longtemps.

ETAPE 10/ Vous ne faites pas ce truc pour lequel vous avez reçu 48 relances des RH groupe

Vous savez, vos timesheets. Ou cette formation “Anti-bribery”, ou “Bias in the workplace” ou “Multicultural communications”, des sujets qui soit ne s’appliquent pas à vous, soit sont beaucoup trop importants pour être gérés dans un module de training avec webinars, QCM et mises en situation mal jouées par des acteurs qui semblent être resté·es bloqué·es dans les 90s, mais que la boîte a forcés à tout le monde pour pouvoir dire que c’est fait, c’est bon, on est clean.

Non seulement vous ne les faites pas, mais PIRE, vous trouvez une excuse du type : j’ai trop de taf pour faire ces conneries. Ah ben bravo ! C’est du joli ! On aurait pas voulu vous connaître dans les années 40.

ETAPE 11 /Vous dites “ça ne fait pas partie de ma fiche de poste”

On vous a demandé un truc, et vous avez refusé sous prétexte que c’était pas votre taf.

Je sais pas quoi vous dire, là, à part que vous avez cru quoi, que le Code du Travail était un document contraignant ? Vous avez pas compris qu’il fallait être flex dans la vie ?

ETAPE 12/ Vous assumez ouvertement

Là vous êtes vraiment désengagé·e (parce qu’au cas où c’était pas clair, les 11 précédents sont des comportements tout ce qu’il y a de plus sains). Vous avez fait un calcul (told you) et avez réalisé que rien qu’en coupant votre budget Uber/kebab/latte vous pouvez vivre à peu près correctement sur un chômage. Et donc vous switchez vers une attitude semi-provocatrice qui consiste à vous tenir correctement 99% du temps, mais à parfois juste pousser un peu mémé dans les orties voir s’il vous arrive des bricoles.

Résultat, vous avez glissé à un·e collègue que vous n’en avez plus rien à foutre. Ou vous avez partagé un meme sur le sujet sur votre Insta. Là vous êtes allé·e trop loin. Y’a des limites à ne pas franchir, et non seulement vous les avez franchies, mais vous avez fait demi-tour pour pouvoir les re-franchir à nouveau en étant bien sûr·e que tout le monde regarde. Vous avez pas compris un truc essentiel : le désengagement ça a toujours existé. Juste, avant, les gens disaient rien. Et donc ça se voyait souvent pas, ou pas avant longtemps. Vous avez trahi non seulement la confiance que vos boss ils plaçaient au-dedans de vous, mais aussi la première règle du Flight Club, qui est QU’IL EST INTERDIT DE PARLER DU FLIGHT CLUB.

J’espère que vous avez honte.

CDLT,

Sev

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