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Par CDLT
28 mars · 7 mn à lire
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Les erreurs à éviter pour un CV parfait

On revoit son Curriculum, vite fait

On va commencer par s’entendre sur un point important : le CV c’est de la merde.

C’est de la merde à faire, c’est de la merde à lire. C’est plus biaisé qu’un reportage CNews. Ça ne rend jamais justice à la complexité d’une personne, de ses talents, de ses forces et de son vécu. En plus c’est fake : 65% des Français·es y mentent. C’est un exercice convenu, faux-cul, pénible, une grande entreprise de souffrance collective.

Et par CV j’entends bien évidemment tout autant le bon vieux pdf à l’ancienne (ou pire, le Word) que son rejeton maléfique, le profil LinkedIn, et tous leurs petits cousins consanguins à base de profils sur des sites et de biographies en moins de 500 caractères sur des job boards. Vous noterez que j’omets volontairement le CV vidéo, qui n’est pas un outil de recrutement mais tout bonnement un instrument de torture médiévale modernisé et ne mérite même pas qu’on lui accorde de l’énergie.

Bref, le CV c’est de la raclure de chiottes, mais comme disait le bon Winston, DRH célèbre d’une startup à la culture de guerre, c’est aussi “le pire des systèmes à l'exception de tous les autres".

Donc on fait avec.

On passe des heures à choisir une typo “pas trop classique mais pas trop fantaisiste”, un jeu de couleurs qui mettra en valeur notre personnalité sans faire Bozo le clown, à essayer d’évaluer notre niveau de langues sur une échelle allant de “notions” à “bilingual” en passant par “professional proficiency” et à trouver les mots-clés qui vont bien. On procrastine des semaines quand on doit l’actualiser. On se demande si il faut une version en deux langues, et en prime quand il faut le refaire pour un autre pays les règles changent, comme si elles étaient pas assez chiantes en local.

D’ailleurs vous avez remarqué que le temps qu’on passe sur cet exercice de la mort est inversement proportionnel à la vacuité de notre carrière ? Genre dans ma vie, à vue de nez, 82% du temps que j’ai consacré à mon CV, je l’ai passé à essayer de remplir le vide avec un interligne 1,5 parce que j’avais fait que dalle, vu que je cherchais un fucking job d’été.

Mais bref, ça fait quelques semaines que je réfléchis à écrire un article sur le sujet, et ma réflexion a commencé à se rapprocher d’un autre truc. Un autre problème. Peut-être LE problème.

Qui est que le CV, c’est une sorte d’avatar de soi qu’on transmet à un récepteur, et on n’a bien souvent aucune foutue idée de ce que ce récepteur attend. Résultat, on se retrouve assailli d’une palanquée de pressions et d’injonctions, toutes aussi péremptoires que potentiellement inexactes, venant de partout.

Et résultat, parce que moi j’aime me rendre utile : après m’être attaquée à la lettre de motiv, j’ai eu envie de faire une petite synthèse des tonnes de sites qui donnent des conseils contradictoires pour faire un CV parfait. Le but est de réussir à faire de cet exercice douloureux un exercice purement insoutenable.

C’est parti.

Les erreurs à éviter pour un CV parfaitLes erreurs à éviter pour un CV parfait

La présentation de soi

N’essayez pas d’être original·e : vous mettez ça tout en haut et puis c’est tout. L’idée c’est quand même qu’on puisse si possible avoir tous les biais d’emblée.

1/ La photo

Là il est évidemment important d’être blanc. Ensuite il est absolument clé d’être très beau quand on est un homme (2x plus de propositions d’entretien) MAIS pas trop quand on est une femme (30% moins de chances), car c’est pas pro. Mais rassurez-vous les zouzs, ça se compense amplement par un petit décolleté des familles. Evidemment à moins que vous ne postuliez à un job d’influenceur·se lifestyle, là j’ai pas besoin de data pour vous dire d’éviter les selfies et les photos de vacances.

Cela dit au final, tout ça n’est pas important, parce qu’au global, sur des aspects physiques comme sur le reste, les gens ont tendance à l’homophilie, ce qui n’est pas ce que vous pensez, mais, dans le recrutement, consiste à embaucher des gens qui leur ressemblent. Donc c’est perdu d’avance, lâchez l’affaire et balancez la tof floue de votre dernière cuite en EVG/EVJF à Budapest on s’en bat les steaks.

2/ Les infos perso

Alors là, bien évidemment, il est clé de ne pas habiter dans une tour à Sarcelles (c’est pas moi qui le dis c’est l’INSEE, attention si vous cliquez ça télécharge direct l’étude pas le temps de niaiser). Ensuite, moi j’ai envie de dire, franchement mettez tout. Ça serait quand même dommage de louper un poste parce qu’un·e recruteur·se recherche spécifiquement un permis moto, une étoile d’or au ski ou un BAFA. Bien sûr, mettez un numéro de portable ET de fixe, même si vous y répondez plus depuis 2017 parce que vous n’avez besoin ni de fenêtres ni de transférer votre CPF. Votre date de naissance ? Of course. Votre statut marital ? Et pourquoi pas ? Ça peut être utile. On sait pas à quoi, mais allez-y (évitez simplement le “in an open relationship” qui suscitera certes la curiosité, mais peut-être trop). N’oubliez pas votre mail, idéalement un truc un peu pro, pas votre vieux “braqu3marddu72@hotmail.fr” ou “renée.la.top@laposte.net”.

Ah j’oubliais l’essentiel : n’oubliez pas de nomenclaturer. Ecrivez “adresse” devant votre adresse, “numéro de téléphone” devant votre numéro de téléphone, et ainsi de suite. Au cas où y’aurait un doute.

Alors je rigole je rigole, mais moi j’avais zappé une info. Le saviez-vous : plusieurs tentatives d’inscrire l’anonymisation du CV dans la loi ont été abandonnées ? Et pas pour des raisons débiles, ce que j’admets à regret car j’adore critiquer. Une expérimentation en France a montré qu’en fait, c’était pas du tout la panacée. Car si le CV anonyme réduit effectivement l’homophilie, et notamment la tendance des hommes à recruter des hommes et des femmes à recruter des femmes, il est encore plus discriminatoire envers les personnes issues de milieux défavorisés. Et la raison va vous étonner : il s’avère que les personnes qui recrutent ont plutôt tendance à “passer” sur des aspects potentiellement plus négatifs (trous dans le CV, niveau de diplômes, etc.) quand le CV leur montre que la personne n’a a priori pas eu toutes les cartes au début. A discuter et challenger, mais ça fé réfléchire.

Bon, ça laisse ces mêmes personnes issues de milieux défavorisés choisir, donc, entre la peste (être discriminées) et le choléra (être encore plus discriminées).

Passons à la suite.

3/ Un petit texte de présentation

Alors là, c’est au choix. Y’a des gens qui en font, d’autres pas. Si vous optez pour le blurb, alors laissez libre cours à votre créativité tout en respectant toutes les règles. Par exemple, c’est un peu comme du SEO, faut mettre le max de mots-clés passe-partout et de formulations comme “créativ·ve et rigoureux·se” et “motivé·e” qui assureront à la personne qui lira que vous êtes bel et bien un être humain comme les autres qui a le syndrome de la page blanche. Evidemment, si vous utilisez ChatGPT pour cette partie, évitez de copier-coller sans relire.

Les expériences pro

Bon, là on va pas tortiller du derche, il n’est même pas envisageable une seconde d’avoir :

  • un trou dans votre CV pour toute autre raison qu’un tour du monde. Un burnout ? Fragile. Vous avez élevé des enfants ? Bravo les années 50. Vous avez quitté un taf turbo-nul et pris du temps pour trouver votre voie ? Super l’assistanat. Vous avez galéré à trouver un job ? Mauvais signe. Donc voilà, c’est bien simple, soit vous aviez vingt briques à lâcher dans un petit périple en Asie et en Amérique du Sud qui vous a fait réfléchir sur le sens de la vie, soit c’est niet.

  • une expérience trop courte dans une boîte : ah ben non vous connaissez la règle. C’est quoi, minimum 2 ans, idéalement 3 dans une boîte, sinon ça fait dilettante. Alors oui les petits potes, on prend sur soi. Le taf est chiant, ou toxique, vous chialez tous les jours dans les toilettes, vous perdez vos cheveux ? Pas question de lâcher, on compte les jours à la craie sur le mur de son cubicle en mode Fleury-Mérogis si il faut, mais on tient. Vous croyez quoi, que votre bonheur et votre santé mentale valent plus que l’image que renvoie votre CV ? Ben non.

  • une carrière pas cohérente : ben oui, pardon de me répéter, mais faut prendre sur soi un peu. Vous avez tracé une voie à 15 ans quand vous avez choisi votre filière au bac entre deux commz sur Skyblog, vous l’avez crantée à 18 quand vous avez choisi vos études alors que vous connaissez globalement 10 métiers, dont “médecin”, “pompier”, “prof” et ceux de vos parents, mais peu importe si ça ne vous va plus aujourd’hui, c’est un caprice, LA COHÉRENCE C’EST IMPORTANT. Alors oui, vous êtes peut-être triste comme les pierres, mais tenez bon, y’a plus que quelques décennies à tenir ça serait dommage de s’arrêter en si bon chemin et d’avoir un CV qui ne raconte pas un truc super logique.

  • une carrière pas linéaire : ah ouais, là pardon, mais “the only way is up”, c’est bien connu. Si vous ne faites pas que monter, on va se dire que vous manquez d’ambition. Et on aimerait bien que vous ayez de l’ambition, MAIS ATTENTION PAS TROP. Juste assez pour taffer trop quand on vous file une carotte, mais pas au point de vouloir le taf de votre boss. Un peu de mesure.

Ajoutons à ça bien sûr, que c’est important d’avoir des boîtes connues sur son CV. Evidemment, n’essayez même pas de postuler à un truc si vous n’avez pas une expérience similaire dans votre escarcelle. On cherche des personnes originales mais qui rentrent dans les clous.

Les études

Mettez tout, dans le doute. Si vous avez un Master, mettez aussi votre Licence, votre bac et votre Brevet. Avec les notes et les mentions si vous les avez sous la main.

Bien sûr, il y a des secteurs qui cherchent des profils uniques mais recrutent toujours dans les 3 mêmes écoles : n’envisagez donc même pas de ne pas avoir fait l’une d’entre elles.

Mais surtout, montrez que vous êtes une personne curieuse qui se forme en continu. Vous avez passé le certificat en Powerpoint de LinkedIn ? Go. Vous avez suivi un MOOC sur l’histoire de l’art pendant le Covid pour ne pas que votre âme décède d’ennui ? Parfait.

Les compétences

1/ Logiciels

Là encore, ça serait dommage de rater l’opportunité d’une vie parce que vous n’avez pas indiqué que vous maîtrisez le Pack Office. Un peu de la suite Adobe mais pas tout ? Allez-y. Vous vous touchez un peu la bille sur Canva ? Perfect.

2/ Qualités

N’hésitez pas à mélanger la catégorie ci-dessus avec un truc qui n’a rien à voir, type vos soft skills. C’est hyper important de préciser que vous êtes quelqu’un de dynamique, motivé, et que vous savez gérer le stress : ça envoie un signal extrêmement positif à un employeur qui pourrait avoir envie de vous corvéer.

3/ Langues

Là c’est pas le moment d’être modeste. Dans l’idéal, vous avez un score type TOEIC à mettre à côté d’une langue, mais si c’est pas le cas, optez pour une petite classification maison qui ne veut rien dire en 5 étoiles ou bulles (faites-vous plaiz pour le design). Evidemment, l’anglais c’est la base, et dans la mesure où vous parlez suffisamment pour ne pas dire “Look at the time” à Angela Merkel en parlant de la météo, vous êtes au minimum “courant”.
Vous avez appris 5 mots d’espagnol avec Duolingo pour préparer votre tour du monde ? Indiquez-le on sait jamais, peut-être que vous aurez affaire à un patron de café dans votre job à qui vous pourrez commander une cerveza.

Les loisirs

Aha ! Zéro pression hein, mais c’est le SEUL cercle de cet enfer où vous pouvez laisser transparaître la personne qui se cache derrière les skills. Que ça vous paralyse pas, mais on se parle de genre 5 bulletpoints pour passer pour quelqu’un de bien.

Donc là, c’est un subtil mélange à trouver entre :

  • une passion random pour faire “vrai” : sympa, pas angoissante, idéalement soit très intello soit sportive, et hors des sentiers battus : on proscrit “voyages” ou “cinéma” ainsi que la thanatopraxie, et on privilégie les échecs (Kasparov-style hein, pas l’échec professionnel), le trek ou la littérature tchèque. Vous êtes amateur·rice de whisky/vin ? C’est non, ça fait pochtron·ne.

  • un centre d’intérêt intimement lié au job que vous cherchez : hé oui parce qu’au final, on va pas se mentir, on s’en fout un peu quand même de vous. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si vous vibrez, respirez le taf à toute heure du jour ou de la nuit.

  • un engagement associatif : idéalement depuis longtemps, et évidemment c’est mieux si, en plus de vos études et de votre job à plein-temps, vous y avez pris des responsabilités au moins régionales.

  • un side hustle : là fini de rire. En plus de vos expériences, hobbys et activités ci-dessus, il est clé que vous ayez développé une passion ou une expertise à un niveau avancé. Là on ne pardonnera pas le dilettantisme : si vous faites de la flûte c’est minimum 10 ans de Conservatoire, si vous faites de la vidéo vous devez avoir réalisé minimum un court-métrage primé, si vous aimez la lecture vous devez animer un Book Club ou mieux, un podcast. Vous avez cru quoi ? Que le temps libre servait à profiter de la vie ? Bien sûr que non, le perso c’est aussi l’opportunité de vous construire un profil hors-du-commun. Pas de repos pour les braves.

Ok donc c’est good j’appuie sur envoyer ?

Evidemment, le but de cet article à la con n’est pas que de se poiler. Si j’ai pas trop mal fait mon taf, derrière cette parodie débile, y’a des trucs qui ont sonné un peu juste, voire ont fait un peu mal. Faut pas.

Parce que le CV est un peu l’héritage d’un ancien monde. Un monde où une carrière, ça répondait à certaines règles, et que globalement si on s’y conformait, on s’en sortait pas trop trop mal.

Et il ne vous aura pas échappé que le monde change.

Poussé·es au cul par la réalisation que la vie est courte et l’avenir incertain, qu’on a ptêt pas choisi sa voie pour les bonnes raisons, qu’on n’est peut-être plus obligé d’être malheureux au taf, ni d’y donner toute son énergie, et qu’à la vitesse où va l’innovation technologique on va être obligé de s’auto-updater en permanence, on se retrouve à dégommer d’un grand geste la construction Lego de nos carrières et à inventer des nouvelles voies.

Les carrières linéaires, le CDI comme ligne de mire, les cases à cocher et les trajectoires ascendantes vont de moins en moins être la norme, et c’est très bien. Parce que progressivement, ça va nous faire sortir de conceptions archaïques et inadaptées de ce que doit être notre parcours. C’est ce qu’Emmanuelle Garbe, maîtresse de conférences à l’IAE, appelle “inventer des scripts de carrière plus variés”.

Ouais mais est-ce que ça va vraiment bouger de l’autre côté ?

Pas bien le choix. Parce que ce mouvement est accompagné d’un autre : dans beaucoup de secteurs, on assiste à une inversion du rapport de forces. Peinant à recruter sur des tafs soit en pénurie de talents, soit pas attirants, de plus en plus de recruteurs·es se retrouvent à faire des concessions. Selon une étude Indeed citée dans l’article, 86% d’entre ellux reconnaissent être prêts à recruter un candidat qui n’aura certes pas toutes les compétences attendues mais qui assumera pleinement ses lacunes et qui se montrera volontaire.

Moi ce que j’y vois, c’est une porte entrouverte, qu’on n’a plus qu’à s’attacher collectivement à défoncer pour de bon à grands coups de bélier. Parce qu’au final, le terme de “script” est bien choisi. Une carrière c’est une histoire. Une histoire qui peut être convenue comme elle peut être originale, mais qui n’a de toute façon pour scénariste que la personne qui la vit. C’est beau ce que je dis.

Tout ça pour dire, en bref, qu’on sent tous·tes la pression de coller à un script imaginaire pour se conformer aux attentes d’un critique imaginaire, et qu’on devrait ptêt pas.

CDLT,

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