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Par CDLT
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Dites-moi quels mails vous écrivez, je vous dirai qui vous êtes

Les 10 types de personnalité selon votre style corpo-épistolaire

J’étais en train de me lancer dans un autre master-article sur un sujet bien golri - genre le burnout - et j’étais fatiguée d’avance, puis je me suis souvenue opportunément que plusieurs personnes, ces dernières semaines, m’ont dit qu’elles ne cracheraient pas sur un article de CDLT qui ne serait, au hasard, pas un essai avec 158 sources et 12 minutes de temps de lecture. Et moi franchement, je suis là pour faire plaisir.

J’ai déjà parlé ici de mon aversion pour l’utilisation des tests de personnalité en entreprise (dans un essai avec 158 sources etc.). Mais je crois qu’il y a d’autres prédicteurs du caractère des gens (on avait parlé des cadeaux qu’on offre à Secret Santa) qui sont bien plus efficaces.

Par exemple, la façon dont on rédige des mails professionnels. Je vais détailler chaque type de mail, en déduire des types de personnalité absolument random et gratos (ce qui n’est pas tellement moins précis que certains tests de personnalité), et je préviens d’avance, absolument tout le monde en prend pour son grade, donc âmes susceptibles s’abstenir.

1/ Les mails en 2 mots, eux-mêmes abrégés

Le type de mail : écrit en deux-deux à l’arrière d’un G7, sans autocorrect, sans majuscules, sans formule de politesse. Généralement, le tout tient en moins de 10 lettres, du genre “top, thx” ou “ok noté” en réponse à votre énorme pavé. Quand la logique est poussée à son maximum, le contenu du mail intégralement écrit dans l’objet.

Le type de personnalité : dominante. Son temps est précieux (en tout cas plus précieux que le vôtre). Son agenda est booké jusqu’à décembre 2026. Chaque seconde que cette personne ne passe PAS à relire son mail (ou à lire le vôtre) est une seconde qu’elle peut consacrer à ce qu’elle fait de mieux : créer de la valeur. Cette personne vous coupe en plein milieu d’une présentation pour vous demander d’aller droit au but. Dans l’ascenseur, elle appuie immédiatement sur le bouton de fermeture des portes et soupire quand quelqu’un a l’audace de vouloir entrer après elle. Bref, cette personne est votre boss, ou pense l’être.

2/ Les mails parfaits

Le type de mail : un chef d’oeuvre épistolaire. Ni trop court ni trop long. Un équilibre idéal entre l’enthousiasme et la retenue, avec pas plus de 5% de points d’exclamation sur le total de la ponctuation. Un petit mot personnel quand c’est adéquat, de type “J’espère que la hanche de ta grand-mère a bien été remise en place”. Tous les prénoms sont bien orthographiés. Les infos-clés sont séparées du reste, il y a, si nécessaire, des bulletpoints pour une architecture de l’information optimale. Les pièces jointes sont non seulement ajoutées, mais dans le bon ordre et correctement nommées. Le mail se termine par une formule de politesse différente à chaque fois, parfaitement adaptée à l’audience, lui souhaitant le meilleur.

Le type de personnalité : anxieuse. cette personne souffre d’une anxiété à la frontière du handicap. Elle passe 98% de son temps d’éveil à obséder sur des détails sans importance. Chaque mail lui prend entre 30 minutes et 2 heures à rédiger, et après envoi elle va le relire à partir du dossier “Envoyés” pour le redécouvrir de la perspective du destinataire. Elle a bien senti que le barista du coffee shop était plus distant ce matin, et elle est persuadée que c’est à cause d’un truc qu’elle a fait. Le soir, avant de s’endormir, elle repense à ce truc horrible ou débile qu’elle a dit en 2013 et dont elle est persuadée que tout le monde se souvient.

3/ Les mails parfaits, mais…

Le type de mail : le mail mentionné ci-dessus, avec une différence minime mais notoire : ça se termine par “à très b*te”, ou “Magali a été écrit “Magalie”.

Le type de personnalité : trouble de l’imposteur. On pourrait croire que c’est la précédente qui a tellement angoissé sur des détails qu’elle a laissé échapper une énorme bourde. Il n’en est rien. La plupart du temps, ce mail vient d’une personne qui sait qu’elle n’a rien à faire dans ce job, et qui sur-compense en tentant d’atteindre la perfection, sans jamais y arriver. Il y a toujours un petit lapsus, un truc qui glisse et qui trahit une fêlure intime : son vrai rêve dans la vie, c’était de faire une école d’art ou de cirque mais ses parents ont pas voulu.

4/ Les “répondre à tous” inutiles

Le type de mail : Je sais pas vous, mais moi je déteste les boucles avec beaucoup de gens en cc, parce que ça me donne l’impression, même quand j’y écris un truc utile, de déranger 10 personnes en même temps qui n’ont PAS besoin de plus de bordel dans leur inbox (et oui, je mesure l’ironie d’expliquer ça dans une newsletter reçue par plusieurs milliers de personnes). Eh bien il existe des gens que non seulement ça ne dérange pas, mais qui n’hésitent vraiment pas à catapulter en reply all des inanités de type “Super boulot, bravo !” (ça en plus, c’est généralement la personne dans l’équipe qui n’a rien foutu), “Ça avance dans le bon sens !”, “Merci pour l’info !” ou “Ok très clair”.

Le type de personnalité : prima donna. Enfants, ces personnes interrompaient d’autorité toutes les activités des adultes pour “faire un pestacle” qui n’était même pas préparé en amont (je vous l’accorde, la différence en termes de résultat est minime, mais c’est une question de respect). Le problème, c’est qu’aucun adulte ne leur a JAMAIS dit que les grands avaient autre chose à faire là tout de suite, et qu’il fallait apprendre à s’occuper tout·e seul·e. Fast forward quelques décennies plus tard, et ces mêmes personnes s’installent au premier rang quand elles vont voir du stand up, dans l’espoir de se faire apostropher, pas seulement parce qu’elles adorent l’attention, mais parce qu’elles sont PERSUADÉES que leur répartie est attendue (alors que pas, hein) et que le·la comique sur scène va être ÉPOUSTOUFLÉ·E par la qualité de leur humour au point leur proposer une première partie.

5/ Les mails URGENTS

Le type de mail : “URGENT” dans l’objet. Phrases courtes. Usage de l’impératif. Abréviations passif-agressives type “stp”. Mention de deadlines en gras (voire en gras ET souligné) (voire en gras ET souligné ET en rouge). Demande d’action immédiate contre menaces pas du tout voilées suggérant apocalypse prochaine. Se termine évidemment par “cdlt”.

Le type de personnalité : pyromane. Alors contre toute attente, cette personne est extrêmement chill. Sa vie est douce, elle fait probablement des activités manuelles zen et relax comme du tricot ou de la peinture sur soie. Et cette personne est détendue pour une raison très simple : elle fait ruisseler toute la pression qu’elle reçoit DIRECTEMENT et INTÉGRALEMENT sur les autres. Parfois même, elle le fait en anticipation : elle crée des urgences ou des deadlines imaginaires pour s’assurer que les gens finiront à l’avance, et qu’elle pourra chiller encore plus. Cette personne est une source de burnout pour tout le monde sauf pour elle-même.

6/ Les mails qui s’excusent d’exister

Le type de mail : c’est le mail qui prend absolument toutes les précautions imaginables pour ne pas 1/ froisser les destinataires 2/ ni leur famille 3/ sur cinq générations. Le truc qui transpire la honte de soi, même quand il nous demande de faire quelque chose que l’on DOIT faire car on est PAYÉ pour. Il est composé à 95% de points d’exclamation, de formules de type “alors vraiment désolé·e”, “est-ce que tu crois que tu pourrais” “si tu as deux minutes” “sinon je comprendrais” pour 5% de contenu réel, et se termine systématiquement par “à dispo”. En général, tout y est petit : il contient une “petite demande”, parle de “petit souci”, propose un “petit point”, pose une “petite question”.

Le type de personnalité : juste une meuf, en fait. Mettons les pieds dans le plat : ce mail est 99% du temps écrit par une femme. Et ce n’est pas sa faute, mais celle d’un biais commun, qui est que quand une femme fait preuve d’autorité ou est simplement directe, on la catégorise comme “autoritaire” (bossy, en anglais, y’a plein d’articles sur le sujet, en voici un avec une étude de linguistique car on ne s’amuse jamais totalement gratuitement sur CDLT) alors qu’on dira qu’un homme est “décisif” (assertive). Il faut imaginer que, depuis plus ou moins l’époque de la cour de récré, cette femme a appris qu’elle devait se faire toute petite, d’ailleurs sur le chemin vers le taf elle s’est fait manspreader dans le métro et puis elle a dit “pardon” quand quelqu’un l’a bousculée. C’est aussi elle qui s’est occupée de trouver et d’acheter le cadeau commun pour les 5 derniers pots de départ (pour lequels elle n’a été que partiellement remboursée mais elle a pas osé relancer). La seule façon d’empêcher l’existence de ce type de mail c’est de détruire le patriarcat.

7/ Les mails qui répondent à côté

Le type de mail : vous voyez très bien, c’est le mail où, quand on a proposé à une personne deux options A et B, elle répond “oui”.

Le type de personnalité : poète. Franchement, il n’y a rien à comprendre. Cette personne plane haut, très haut, très loin de vous et de vos préoccupations mesquines. Honnêtement, si on ne vivait pas dans une société capitaliste, elle serait troubadour, et se nourrirait de quignons de pain qu’on lui jette en échange de ses sérénades au luth sur la place publique. Pour cette personne, le travail n’est qu’un moyen de payer son loyer et pouvoir s’adonner à sa vraie passion, qui est un truc super niche et potentiellement un peu malaisant, comme de créer des portraits de gens connus à partir de cheveux. Ajoutons que cette personne est atteinte de synesthésie : pour elle, c’est évident que le lundi est associé à la couleur verte, que le mot “table” a un goût de cacao, et que les mois d’octobre à décembre sont disposé en forme de cercle.

8/ Les mails ultra-flous demandant un point

Le type de mail : le message qui crée instantanément une sensation d’effroi, mais un truc physique, une terreur qui saisit aux tripes. Généralement c’est un mail court de type “On peut faire un point rapidement ?”, “Parlons-en”, ou, PIRE, une invitation à un événement nommé “1:1” ou “Point JK/Carole” sans aucune alerte, sans aucun contexte, sans la moindre précision. Si cette personne est votre boss, quand vous lisez ce mail vous remplissez d’emblée votre petit carton d’effets personnels. Si cette personne ne l’est pas, vous vous préparez à entendre une nouvelle cataclysmique, un client qu’on a perdu à cause de vous, ou un truc que vous avez fait y’a 3 mois et dont tout le monde parle derrière votre dos depuis. Vous ne dormez pas de la nuit.

Le type de personnalité : pathologique. “Ah non, t’inquiète, je voulais juste avoir ton avis sur un sujet !”, vous dit cette personne en rigolant au début du point en question, où vous arrivez avec des cernes on dirait des sacs Tati, et fébrile on dirait vous avez le Covid. Comme si vous étiez vraiment teubé d’avoir pu imaginer autre chose. Ah, vous et vos angoisses, vraiment. Ça serait mignon si c’était pas un peu chiant.
Eh bien je vous le dis, le problème ce n’est pas vous, c’est elle. Le diagnostic est ferme : cette personne est psychopathe, sociopathe, sadique, ou au minimum borderline, et c’est parce qu’elle n’a jamais eu le cran de se lancer dans le meurtre en série qu’elle travaille désormais à la Cogip. Même si c’est partiellement conscient, au fond elle sait très bien ce qu’elle fait. Avec ses conneries, elle vous maintient en état d’alerte, elle vous garde sous sa coupe. Sauf si cette personne est vos parents, là franchement c’est juste leur faible maîtrise de l’étiquette digitale.

9/ Les mails qui copient-collent votre mail pour le commenter

Le type de mail : Il commence par “mes réponses ci-dessous”, et ci-dessous c’est votre mail à vous copié-collé sans le moindre effort de synthèse, mais la personne a choisi une couleur bien moche et distincte (généralement du orange ou du violet) pour y ajouter ses commentaires. Chacune de vos phrases est désormais ponctuée d’un “—> à discuter” ou d’un “???” énigmatiques qui n’apportent rien au schmilblick. Le pourcentage d’informations utiles par rapport à la quantité de texte avoisine le 0.

Le type de personnalité : scolaire. Son plus grand drame est d’avoir dû terminer l’école. Au moins à l’école, il y avait des règles claires et un cadre commun. Tout ce qu’on faisait était noté, on savait où on en était. Les profs nous disaient quoi faire, on n’avait pas à réfléchir. Cette personne, à l’époque, faisait des fiches récapitulatives des cours aussi longues que le cours d’origine (car elle n’a jamais su synthétiser), mais avec des notions soulignées dans 8 couleurs différentes selon un code défini (oui, elle possédait un stylo 10 couleurs qui sentait bon mais PAS pour le fun). Cette personne, devenue adulte, accumule les post-its et les to-do lists interminables par peur de louper quelque chose d’important, car sa façon de lutter contre le manque de repères consiste à se réfugier dans une forme d’exhaustivité harrassante pour les autres, mais qui crie “Regardez ! J’ai bien fait mes devoirs !”. Elle prend des notes détaillées en réunion, dont elle fait des comptes-rendus que personne n’a le temps de lire, car ça prendrait aussi longtemps que la réunion (ne lui dites surtout jamais qu’on peut enregistrer une visio). Elle souligne chaque phrase-clé dans les documents qu’elle transmet, c’est-à-dire une phrase sur deux, dans l’espoir vain de transformer l’information en connaissance.

10/ Les mails passif-agressifs

Le type de mail : Pas besoin de vous faire un dessin. Ce mail est un terrain miné, où vous essayez de conserver vos membres en slalomant entre les “sauf erreur de ma part”, les “comme dit précédemment” et autres “merci de”. La ponctuation est utilisée comme une arme blanche (= “On en a déjà parlé !” ou pire “On en a déjà parlé…”). Les tournures impersonnelles abondent pour ne pas accuser directement (“Il semblerait que le document n’ait pas été envoyé dans les temps”) tout en accusant directement. Le niveau supérieur : en pièce jointe, un pdf de vos précédents échanges, où vos manquements ont été soulignés en gras. Le niveau encore supérieur : votre boss en cc. Le niveau final : un smiley :) ou pire ;)

Le type de personnalité : bien évidemment, dans cette analyse on évacue les cas où la passif-agressivité est nécessaire (par exemple : relance d’impayé ou foutage de gueule notoire). Ce qui nous laisse deux types de personne.
La première, c’est quelqu’un qui a connu le fax, et regrette amèrement cette période où les échanges n’étaient pas instantanés, et où on prenait le temps de réfléchir avant d’interagir. Cette personne sait qu’il existe une étiquette digitale mais elle s’en fout. Elle utilise des majuscules 1/ pour les noms de famille 2/ parce qu’elle trouve qu’on comprend mieux, et au fond, elle n’a pas tort car quand vous avez l’impression de vous faire hurler dessus, ben vous comprenez mieux. Elle ne connaît pas le “répondre à tous”. Elle signe ses emails, mais aussi ses SMS avec son nom complet. Elle pense sincèrement que les points de suspension adoucissent le propos, et que les smileys signifient vraiment ce qu’ils représentent. Elle vous donne l’impression par écrit d’être en train de vous agresser, alors que si vous étiez dans la pièce avec elle, elle vous filerait des madeleines qu’elle a préparées la veille.
La seconde, c’est quelqu’un qui a fait une thérapie. Après avoir lu des pelletées de bouquins de développement personnel pour comprendre sa difficulté à “relationner”, avoir essayé le yoga “mais se détendre ça la stresse” et avoir tenté de se remettre en question, elle a vu un·e psy dont elle a tiré, au fond, une seule chose : la phrase “ça ne me convient pas”. Ça a été une révolution. Elle a découvert le concept de “poser ses limites”, que des années de frustration ont transformé instantanément en une peur de se faire prendre pour un·e con·ne et un refus formel de se faire rouler dessus ne serait-ce qu’UNE FOIS DE PLUS dans leur vie. Elle appelle les hôtels trouvés sur Booking pour essayer de négocier un taro, car payer plein pot c’est un truc de victime. Et elle n’est PAS une victime. Elle a internalisé que la meilleure défense c’était l’attaque, et elle en a fait un mantra. Elle a un dossier “Preuves” sur son ordinateur professionnel, et un autre sur son ordinateur personnel. Elle dit qu’elle n’est jamais allée aussi bien, mais de temps en temps elle explose en larmes sans raison.

Voilà, j’ai bien conscience qu’on avoisine les 12 minutes de lecture hein, on ne se refait pas 😉

CDLT,

Sev