Handicap ou pas cap ?


🤝 POINT COLLAB : Il y a trois types de sujets qui peuvent faire un article CDLT : 1/ ceux où je sais de quoi je parle 2/ ceux où je sais pas de quoi je parle mais j’y vais quand même et 3/ ceux… ou vraiment, je ne suis pas légitime ou pertinente pour en parler. Et ça me saoule, parce que dans le lot, certains sont vraiment importants. Le handicap en entreprise en fait partie. Et c’est là que Charlotte de Vilmorin m’a fait percuter un truc : on n’a qu’à faire une collab, patate. Avec Charlotte, on se connaît depuis… bientôt 15 ans. On était en stage dans la même agence de pub. Sauf que pendant que je continuais banalement dans la pub, Charlotte a lancé le blog Wheelcome pour sensibiliser sur le quotidien des personnes à mobilité réduite, puis elle a créé Wheeliz, la plateforme de location de voitures aménagées pour fauteuils roulants, et a cofondé NEWAV/Abiliz pour développer le premier véhicule électrique accessible et une offre de leasing pour les voitures aménagées. Ah, elle a aussi écrit Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque, et Ceci est mon corps chez Grasset. Voilà, Charlotte, elle pèse, quoi. Elle a une page Wikipédia.
Eh bien cet article est écrit en collab avec Charlotte de Vilmorin, qui pèse et qui a une page Wikipédia.
Si vous êtes expert·e d’un sujet que je n’ai pas traité sur CDLT et que ça vous chaufferait de faire un article en collab, n’hésitez pas à me faire signe en répondant à ce mail.
👉 POINT RECO : Charlotte écrit la géniale newsletter Walid le valide, où dans chaque article, elle discute avec Walid qui est 1/ valide 2/ rempli de bonnes intentions, pour lui expliquer la réalité du handicap derrière les bonnes intentions. C’est super, abonnez-vous. Sur Walid le valide, elle publie aujourd’hui un article miroir de celui-ci, qui est un poil plus intelligent et nuancé, donc ne le loupez pas.
📢 POINT PROMO :
- Vous pouvez toujours précommander Ciao les nazes, mon LIVRE, qui sort le 15 janvier
- Aussi, la boutique CDLT est là : merci pour vos commandes, sans vouloir trop spoiler, va y avoir du mug “sauf erreur de ma part” à balle aux Secret Santa 2025 on dirait
🎙️ POINT PODCAST : cet article est dispo en version audio avec des effets sonores… originaux sur Spotify, Apple Podcasts et Deezer.
🗓️ POINT TIMING : cet article est… le dernier de l’année. Parce que si on suit le calendrier, le prochain tomberait le 25 décembre, et je veux pas ruiner Noël (vous pouvez très bien y parvenir vous-même, c’est juste une question de volonté). Sauf si je change d’avis. Mais je vous souhaite une bonne fin d’année au cas où, et on se retrouve probablement plutôt le 8 janvier avec mon BANGER annuel : votre horoscope professionnel édition 2026.
Ah, ça vous chiffonne. Ces derniers temps, vous avez vu popper plein de trucs sur le handicap dans votre feed. C’est normal, du 17 au 23 novembre c’était la SEEPH. La quoi ? La Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées. Vous saviez pas ? Normal, dans votre boîte tout le monde s’en fout. Mais vous, vous êtes un peu jaloux·se. VOUS AUSSI vous avez envie d’une boîte inclusive. C’est quand même sympa une boîte inclusive. Pour le rapport RSE déjà. Pour la marque employeur, aussi : ça attire des Gen Z en “quête de sens” et d’entreprises “alignées avec leurs valeurs”. Puis autant, la diversité de type origine-genre-orientation sexuelle, c’est plus trop à la mode (c’est même HYPER 2021) autant la diversité de type handicap, ça n’a encore JAMAIS été à la mode. Donc c’est peut-être un signal faible ? Une tendance montante ? C’est sûrement le moment de sauter sur le sujet, pour faire partie des boîtes qui l’ont fait avant que ça soit cool. MAIS l’idéal, ça serait que ça soit pas trop chiant. Pas trop coûteux. Voire, de pouvoir devenir une boîte inclusive sans rien changer. Ah oui. Ça serait bien, ça.
Eh bien si c’est votre souhait, et que vous voulez atteindre le ratio impact maximal/effort minimal, CDLT et Walid le valide sont là pour vous aider. Avec un mode d’emploi “devenir une entreprise inclusive” garanti zéro emmerdement. Une solution pour cocher toutes les cases de l’inclusivité sans les effets secondaires. Vous vous rappelez le kit avec les électrodes du téléshopping pour se muscler sans bouger son fiak de son canap ? Ben pareil, mais avec le handicap. Si vous faites les choses bien, vous n’aurez même pas à croiser une personne en fauteuil au taf, ce qui est plutôt cool quand même, parce que ça prend de la place et puis c’est gênant de regarder quelqu’un d’en haut alors qu’on veut pas avoir l’air de le·la regarder d’en haut parce qu’on est une bonne personne.
C’est parti.
La communication, ce n’est pas du vernis : c’est le moteur qui fait tourner les roues de la transformation positive. Donc c’est le moment de foutre le maximum de photos de gens en fauteuil roulant dans votre com. Partout. Sur votre page de recrutement, sur vos annonces, dans vos campagnes corpo, dans vos posts LinkedIn. Vous n’avez pas de personne tétraplégique sous la main, et puis un shooting c’est coûteux ? Ne vous inquiétez pas, les sites de banque d’images regorgent de gens en fauteuil avec un gros smile communicatif qui fait ZIZIR (voire une cape de super-héros, et franchement, la handi-cape, je suis obligée de saluer la perf). En plus zéro culpa, aucune personne handicapée n’a été blessée pendant le tournage : ce sont généralement des modèles valides (pas besoin d’Actors Studio, il suffit de s’asseoir et de montrer ses meilleures dents) (c’est comme un blackface mais en version handi). En prime, aucun fauteuil n’a été retiré à une personne handicapée pour les besoins du shoot puisque généralement, pour les banques d’images, on fout simplement des gens valides dans des fauteuils roulants de location, ceux des aéroports genre, qui ne ressemblent en rien à des fauteuils de la vraie vie, et l’affaire est dans le sac (après, franchement, c’est facile d’avoir un fauteuil 100 % remboursé, c’est possible depuis… deux semaines, et bon, on sait pas encore exactement comment ça va fonctionner et sur quels modèles, mais franchement ça va, avant ça ne mettait que 1 à 2 ans de démarches donc pas de quoi se plaindre).
C’est bien, ça, une personne en fauteuil qui sourit. Ça dit bien handicap, et surtout, ça dit qu’on peut être heureux·se dans la boîte avec un handicap. PAF ! Non pardon, on va dire PAM ! dans cet article. PAM ! Emballé, c’est pesé.
Peu importe que 80 % des handicaps soient invisibles, et que moins de 5 % des personnes en situation de handicap moteur utilisent un fauteuil roulant. Comment vous voulez représenter les autres handicaps hein ? Les handicaps sensoriels (genre problèmes de vue ou d’audition), psychiques, cognitifs, mentaux, les maladies chroniques… ça fait des photos de merde. C’est juste des… gens. Et on veut pas montrer des gens, on veut montrer des HANDICAPÉS bordel.
Ça, franchement, c’est gratos. Littéralement. Ça demande juste 3 secondes pour faire un copier-coller. Tenez, je vous donne même la petite phrase à indiquer :
" [ici vous mettez le nom de votre entreprise, OUBLIEZ PAS sinon c’est grillé] s'engage en faveur de la diversité et de l'inclusion. Ce poste est ouvert aux personnes en situation de handicap (H/F)."
Voilà. C'est fait. Vous êtes inclusif·ves.
Ben oui. Parce qu’une fois que vous avez copié-collé cette phrase magique, vous avez même pas besoin d’embaucher des gens en situation de handicap. PERSONNE ne va vérifier les candidatures que vous recevez, et celles auxquelles vous donnez suite (pour qu’il y ait une vérification, il faudrait qu’un·e candidat·e discriminé·e à l’embauche saisisse le Défenseur des droits, les Prud’hommes, l’Inspection du travail ou carrément le pénal, et pour ça, déjà il faut connaître ses droits, et ensuite il faut des preuves). Magique, on vous dit.
Oh et puis ça va, y’a pas que vous. Alors que les entreprises de +20 salarié·es doivent employer minimum 6 % de personnes en situation de handicap, on n’est encore qu’à 5,1 % en moyenne nationale même si on progresse. 28 % des entreprises asujetties à cette obligation n’en emploient aucune (considérant donc qu’il est préférable, ou moins contraignant, de payer la contribution financière que d’intégrer des personnes handicapées). Dans l’information-communication, on est à 3,4 %, dans la construction on est à 3,9 %. C’est compensé par des secteurs qui atteignent, voire dépassent leurs obligations, mais c’est des trucs pas cools (contrairement à vous), genre l’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale. Naze.
Mais faites gaffe ! Parce que le truc, c’est que si vous ne laissez pas entrer des personnes en situation de handicap par la porte (aux normes PMR), elles risquent de revenir par la fenêtre. En fait, plus précisément, elles risquent d’être déjà entrées, peu importe comment. Parce que voilà, 85 % des handicaps surviennent au cours de la vie. OUI, ce que ça veut dire, c’est que c’est comme les salarié·es qui vous font l’insulte de faire un gosse et de vous caler un congé mat en soum-soum, y’a des gens qui vont OSER développer un handicap alors qu’iels sont déjà dans la boîte. Pas très team spirit, je vous l’accorde. Eh oui, un·e travailleur·se handicapé·e sur deux a plus de 50 ans. Je suis d’accord, ça prêche pour ne pas trop employer de seniors, d’ailleurs c’est comme ça que le secteur de la com fait pour éviter le problème (Malinx le lynx).
Après, y’a un truc pas facile à gérer, je vous l’accorde. C’est si vous avez besoin, dans votre entreprise, de gens pas trop diplômés à qui vous faites réaliser un travail pénible. Là c’est la merde. 60 % des travailleur·ses handicapé·es sont ouvrier·ères ou employé·es contre 44 % de l’ensemble des personnes en emploi. 87 % des maladies professionnelles reconnues sont des troubles musculosquelettiques. Sacré bordelos, parce que là, en gros, c’est un cercle vicieux : vous faites réaliser des tâches pénibles à quelqu’un —> cette personne a l’audace d’en concevoir un handicap —> vous vous retrouvez avec une personne handicapée sur les bras.
MAIS. Mais il faut voir le verre à moitié plein : ça va faire gonfler les effectifs handi, vous aider à atteindre les 6 %, et vous dispenser de payer la contribution annuelle à l’URSSAF en cas de non respect, qui est un peu salée. HÉ OUI, si vous êtes assez malinos, vous arriverez à créer votre propre système fermé. Des secteurs comme la construction, la restauration, le médico-social, la distrib ou le transport produisent LEURS PROPRES HANDICAPÉS (tableau 38, page 83), ce qui leur permet d’atteindre les quotas !
Comme quoi, quand on veut on peut.
Alors ça je vous l’accorde, ça demande un peu plus de taf. Mais juste un peu. Car d’une part, vous pouvez réutiliser les photos de personnes en fauteuil que vous avez mises sur votre page recrutement (voilà un achat de licence bien rentabilisé). D’autre part, franchement, ça se fait écrire en deux-deux par ChatGPT.
Un encadré “nos actions handicap”, trois verbes d’action (rapport à exprimer l’action) : “sensibiliser” (une newsletter, à tout casser une formation optionnelle et c’est plié), “accompagner” (vous avez acheté des sièges ergonomiques ? bingo), “valoriser” (vos photos de gens valides avec le smile dans les fauteuils d’aéroport), deux-trois chartes signées, un don à une asso et PAM. Fermez le PDF en confiance (n’oubliez pas de sauvegarder avant) : vous avez fait votre part.
En plus, pour les employé·es handicapé·es, c’est HYPER flatteur d’être représenté·es dans un rapport Responsabilité Sociale et Environnementale, entre les gobelets recyclables et les ampoules basse conso. C’est cool de se sentir valorisé·e, non pas en tant qu’humain mais en tant que catégorie, et de sentir qu’on fait sa part en tant que faire-valoir moral pour la boîte, au même titre que la gestion des déchets. Une consécration. Ça doit être hyper agréable, je pense, d’être dans la catégorie “charity”. Ça doit faire chaud au cœur de lire que d’atteindre 6 % de taux d’emploi de personnes handicapées c’est pas juste se soumettre à une obligation légale, c’est encore moins faire quelque chose de normal, c’est bien mieux : réaliser une B.A.
Puis des phrases genre “Nous sommes fiers de contribuer à l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap” c’est hyper cool, parce que ça donne l’idée qu’il faut les “insérer”, comme si elles étaient pas déjà dans la société, un peu comme un pied dans une chaussure trop neuve quand on a refusé d’acheter le chausse-pied à 6 balles chez Eram.
Et surtout, ce qu’il est important de faire, pour ne pas trop se fouler, c’est d’ignorer activement la demande des personnes concernées à l’auto-représentation. L’auto-représentation, c’est la merde, parce que ça implique d’intégrer des personnes handicapées… dans les décisions qui les concernent. Si vous leur donnez la main (un encadré dans le rapport RSE), elles vont prendre le bras (exiger un budget, du temps alloué et un siège pour participer à élaborer et suivre les politiques handicap). Et ça, ça risque d’être maxi-chiant, parce que soudain, ça peut vous faire quitter le champ bien confortable du storytelling, pour passer dans celui, bien moins fun, de l’action concrète. En plus, franchement, qu’est-ce qu’elles y connaissent, au handicap, les personnes handicapées ? C’est bien connu, une bonne politique de diversité, ça se décide d’en haut, par des gens qui ont vachement d’empathie pour le sujet vu qu’iels ont adoré Un p’tit truc en plus.
Franchement, déjà vous avez eu l’obligation légale d’en installer parce que vous avez dépassé les 10 chiottes, ça serait dommage de pas capitaliser dessus. C’est un peu comme les boîtes qui affichent fièrement sur leurs offres de taf qu’elles proposent des congés payés, une mutuelle et le remboursement de la moitié des frais de transport : quitte à se faire chier à raquer pour des trucs obligatoires, autant le crier sur tous les toits.
Vos toilettes PMR sont fermées à clé, utilisées comme local de rangement, et au bout d’un couloir étroit et encombré ? So what? Les chiottes PMR c’est comme le droit à la déconnexion, c’est super que ça existe mais on va pas non plus en faire usage. Il y a des chiottes PMR mais le team-building de la boîte est une journée rando ? Et alors ? Faire ses besoins c’est par définition… un besoin fondamental, la journée rando c’est plus haut dans la pyramide de Maslow, faudrait pas trop en demander.
Bon, en revanche, il est important de s’arrêter là. Parce qu’encore une fois, la main, le bras, etc. Si vous commencez à vous poser sincèrement des questions sur la création d’un environnement de travail accessible, vous êtes pas sorti·es de l’aubergine, ça je peux vous le dire. Ça va vous mener à des trucs absurdes, genre créer des offres d’emploi et des contenus intelligibles même pour les personnes dyslexiques, âgées, ou maîtrisant mal la langue française, à mettre du texte alternatif sous vos images, à sous-titrer l’ensemble de vos contenus vidéo (et même vos visios), à foutre des boucles à induction magnétique dans les salles de réu, à fournir un·e interprète en LSF, à vous assurer de la lisibilité de l’ensemble de vos outils de com et documents… Non, il faut arrêter avant de commencer, c’est plus sûr.
Sinon, après, c’est la porte (aux normes PMR) ouverte à toutes les fenêtres : vous allez réaliser que tout le mobilier “startup cool” aux couleurs vives que vous avez acheté en gros lors du dernier réaménagement des locaux est complètement inaccessible. Ces tabourets de bar montés sur échasses, ces tables basses ovoïdes à 20 cm du sol, ces canapés lounge ultra-profonds, ces phonebooths larges comme une feuille A4… Y’a rien qui va. Et comment on maintient une culture de boîte cool si on n’a plus de meubles scandinavo-pop ?
Vraiment, la pente est glissante. Parce qu’après, vous allez devoir vous occuper de trucs vraiment pas pratiques, genre la santé mentale. Beurk. Ben oui, une envie de bien faire va vous inciter à aller regarder le Baromètre Absentéisme 2025 de Malakoff Humanis, et là vous allez découvrir que les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel sont le second motif d’arrêt maladie (16 %), AVANT les troubles musculo-squelettiques (14 %), et la cause d’un arrêt long sur quatre. Et là, vous aurez ouvert la boîte de Pandore. Vous allez faire un truc un peu risqué, qui est de LIRE LE CODE DU TRAVAIL, et réaliser qu’il est de votre devoir de prendre “les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la sécurité physique et mentale des travailleurs” (je souligne que c’est moi qui souligne). C’est la tuile : vous allez percuter qu’en fait il ne suffit pas d’offrir des cours de yoga. Il faut identifier les risques, les déclarer, les prévenir (à la source hein, pas juste avec une newsletter d’information) (ça implique d’adapter l’organisation du travail, la charge, les horaires, les objectifs), définir un plan d’actions, proposer des aménagements raisonnables… On passe du chien tête en bas et de l’atelier méditation super chill good vibes à des acronymes flippants genre DUERP, AT-MP, INRS, RPS, QVCT.
C’est trop d’énergie négative, ça dégage.
C’est bien ça, une journée de sensibilisation. Moi perso j’adore tous ces trucs (c’est comme les formations pour aider les femmes à s’imposer, qui évitent de se demander pourquoi on les écoute pas), ça permet de faire porter la responsabilité sur les employé·es plutôt que sur les structures. Le mieux, c’est de faire ça pendant la SEEPH : vu que la prochaine sera en novembre 2026, ça vous laisse un an pour préparer. Parce qu’il y a du taf. Enfin, qu’on s’entende, y’a pas énormément de taf, mais c’est quand même plus d’efforts que les 4 précédents trucs.
En gros, c’est de l’event planning quoi. Allez, un peu de “graphisme” sur Canva, pour créer une jolie affiche avec des personnes hyper diverses en flat design, c’est déjà 50 % du taf. Vous n’oublierez pas de réserver une grande salle de réu, de commander des viennoiseries (sans gluten, au cas où, ça fait inclusif) et d’envoyer un mail à toute la boîte avec un point d’exclamation dans l’objet (“Journée Handicap : tous concernés !”).
Ensuite, faut trouver des “activités immersives”. Ça paraît compliqué comme ça, mais en fait c’est assez ludique (il s’agit de maintenir la promesse de fun induite par le point d’exclamation de l’objet de mail). Ma reco : louer 3-4 fauteuils roulants d’aéroport (pensez à booker à l’avance, ils sont très demandés pour les shootings Getty) et faire un “parcours” de 20 minutes pour montrer que c’est quand même pas de la tarte. Si vous voulez gamifier ça avec des obstacles, un chrono et un classement, faites-vous plaisir : c’est pour la bonne cause. Après évidemment, ça dépend de la thune que vous avez. Si vous êtes ric-rac, vous pouvez sûrement trouver un casque qui simule les distractions d’une personne TDAH, ou organiser un repas les yeux bandés à la cantoche, ça fait toujours son petit effet. Si vraiment c’est la dèche parce que tout le budget animation RSE est parti dans une Fresque du Climat, Internet regorge d’outils comme le simulateur de dyslexie qui peut vous offrir 30 bonnes secondes d’empathie gratos. Votre but, c’est que quelqu’un prononce une phrase transformative, genre “j’aurais jamais imaginé que…” ou “je vais vraiment faire plus attention maintenant”. Avec un peu de chance, le 12/13 régional de France 3 vient faire un reportage dans votre boîte et là c’est GOOD, vous pouvez tout arrêter jusqu’à l’année suivante.
Le top du top évidemment, ça serait d’inviter une personne en situation de handicap inspirante. Après, je vous recommande de vous y prendre dès maintenant, parce qu’autant on les ignore toute l’année (hors JOP), autant on se les arrache pour les événements d’entreprise pendant la SEEPH. L’idéal ça serait un·e sportif·ve de haut niveau qui a su transformer un accident tragique en opportunité. ÉVITEZ À TOUT PRIX une personne handicapée du quotidien, un·e rando qui n’a pas une histoire de dépassement à raconter, et qui va vous saouler avec ses histoires de transport ou de logement non-adapté. On veut du mo-ti-vant. À la première larmiche dans la salle, vous avez gagné : car dans “sensibiliser” il y a “sensible”.
Après, loin de moi l’idée de vous le recommander, mais si vous vous chauffez, vous pouvez aller jusqu’à organiser un DuoDay. C’est hyper à la mode. En gros c’est une journée de stage en immersion (non rémunérée rassurez-vous) où une personne en situation de handicap forme un binôme avec une personne valide de la boîte pour découvrir un métier. C’est un peu chiant à organiser mais c’est quand même plus court qu’un stage de 3e, et surtout… ben oui… ça vous permet de faire un shooting. En revanche, ATTENTION, l’enjeu n’est PAS de s’empêtrer dans des galères en faisant partie des 20 % de boîtes pour qui le DuoDay débouche sur un stage ou une offre d’emploi. Des rageux crieront au tourisme inclusif, au tokenisme ou au paternalisme ? Vous ne pouvez pas les entendre, vous portez votre casque qui simule des problèmes d’audition.
ET ATTENTION, qui dit “journée de sensibilisation” dit “journée”. Pas semaine, pas mois, et encore moins année. Chacun·e sa journée : une pour les handicapés, une pour les femmes, une pour la galette des rois. Faut borner, sinon ça va déborder. Un·e stagiaire pour un jour, passe encore, mais faudrait pas non plus s’encombrer de faits gênants, comme le fait que seulement 2 % des contrats d’apprentissage sont effectués par des travailleurs·es handicapé·es, ce qui crée un cercle vicieux dès l’entrée dans la vie active qui les pénalise toute leur carrière.
Sinon, on risque d’aller jusqu’à se poser des questions super woke et malaisantes, comme se demander si ça fait plaisir aux personnes concerné·es par toutes ces “journées de la diversité” d’être placé·es dans la case “objet de pitié”. Et là, boule de neige : on se retrouve à se demander pourquoi les personnes concernées sous-déclarent leur handicap, et on réalise que les premières raisons sont la crainte de la stigmatisation et de la discrimination, et la peur de voir ses compétences dévalorisées et son évolution professionnelle freinée. Et on dézoome et on réalise qu’effectivement, le handicap est le premier motif de discrimination depuis 8 ans selon le Défenseur des droits, et que ce n’est pas qu’une question de biais, mais aussi une question concrète de dématérialisation des outils, de refus des chiens d’assistance, de manque d’accompagnement humain et d’algorithmisation des décisions. Trop de sujets, trop de questions, on ne rigole plus du tout : on va rester sur la course en fauteuil, c’est plus lol.
Bref. Le handicap, tous concernés ! Mais 8h par an !
Alors qu’on s’entende, on a établi que recruter des personnes en situation de handicap, c’était le bordel. Mais si vous vous retrouviez à le faire, par exemple parce que vous dépassez les 20 salarié·es et que vous n’avez soudain plus trop le choice (mais rassurez-vous, vous avez 5 ans pour vous mettre en conformité, in this economy la boîte a 4 fois le temps de couler d’ici-là), il y a un certain nombre de règles à suivre pour optimiser la situation au MAX.
Déjà, évidemment, je recommande, si c’est possible, d’embaucher UNE personne en situation de handicap, pas plus. C’est comme les Auvergnats, quand y’en a un ça va… c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. Ensuite, c’est important de ne PAS recruter à un poste de management car la personne risque de faire chier et d’insister et d’utiliser son pouvoir pour faire venir ses confrères et sœurs pas valides, et vous n’aurez d’autre choix que la donner, votre valid’, si vous ne voulez pas passer pour un monstre.
Ensuite, en termes de choix y’a deux options : soit vous essayez de trouver la personne avec le handicap le moins chiant possible (genre une petite surdité pépouze où la personne peut parler clairement et lire sur les lèvres, voire comprendre si on crie un peu), SOIT VOUS Y ALLEZ ALL-IN, et vous trouvez une personne qui a l’air turbo-RQTH, idéalement en fauteuil (mais on a établi que c’était difficile à trouver). Là, vous pouvez dire “Merci Handi”, parce que c’est du pain bénit. Déjà, on se répète mais c’est le nerf de la guerre : ça fait des bonnes photos. Ensuite, vous l’invitez au max dans les panels, les événements, les forums de recrutement. Sur son temps de travail bien sûr, et sans aménagement (charge à la personne handicapée de se dépasser, comme l’athlète inspirant·e de la SEEPH). C’est également le moment de créer un comité diversité, et de l’y nommer (bénévolement, mais c’est pas du bénévolat, c’est une opportunité), pour non seulement faire de cette personne un token, mais s’assurer qu’elle reste bien enfermée dans le rôle de la personne handi de service.
Vous avez coché toutes les cases de la checklist de l’inclusivité, sans non plus trop vous fouler, félicitations !
Bon, maintenant je vais m’extraire péniblement de ma combi de sarcasme deux minutes.
Et commencer par vous faire une confession : j’ai appris énormément de choses en bossant sur cet article. Et par là j’entends : la plupart des trucs que je viens de vous raconter, je n’en avais aucune idée avant de faire des recherches et d’en parler avec Charlotte (qui, outre la réflexion de fond, m’a livré les excellents insights du mobilier startup-cool et des shootings Getty dans des fauteuils de loc). Donc, autant, j’avais très très envie de faire du mauvais esprit et je ne m’en suis pas privée, autant, je ne suis absolument personne pour donner des leçons à qui que ce soit. Ce que j’ai capté en revanche, depuis que je lis Walid le valide (ABONNEZ-VOUS C’EST SUPER), et depuis que je me suis penchée sur le sujet, c’est qu’il n’y a qu’en s’informant qu’on peut, progressivement, devenir un peu moins nul·le.
ENSUITE, trois autres points importants rapport au mauvais esprit. Le premier point important, c’est que plein de boîtes font un bon taf sur le sujet (souvent les grosses, dans les petites c’est plus souvent un impensé jusqu’à ce que l’obligation légale tombe). Le second, c’est que la plupart des initiatives dans les boîtes, du DuoDay aux journées de sensibilisation en passant par les comités, partent d’une bonne intention. Et c’est déjà énorme. Il n’y a rien d’intrinsèquement problématique dans tout ce que je viens de lister. Après, ce que les limites de ces initiatives révèlent, c’est qu’il n’y a qu’en écoutant les personnes concernées qu’on peut s’assurer d’être pertinent·e. Le troisième point important, c’est que la responsabilité de tout le travail d’inclusivité tombe généralement sur les épaules des RH. Les mêmes RH déjà chargé·es comme des mules qui doivent déjà gérer le recrutement, la formation, les conflits, les problèmes sociaux, la paie, les entretiens annuels, l’administratif, la conformité légale, la santé, la sécurité, l’engagement et un bon bout de la RSE tout en se faisant menacer de remplacement par des IA. Alors qu’au fond, l’inclusion, ce n’est pas juste un sujet RH. C’est un sujet de stratégie de boîte, qui devrait, théoriquement, impliquer toute la direction, tous les services, et tous les niveaux hiérarchiques.
Mais le vrai sujet, derrière le sujet, c’est que les politiques d’inclusion ne devraient pas être principalement entre les mains des entreprises. En déléguant ces enjeux et leur application aux boîtes (qui, je ne vous l’apprends pas, obéissent à des impératifs économiques) l'État leur laisse la latitude d'allouer ou non des moyens à l'inclusion. Résultat, l’inclusion devient négociable et aussi, un poste budgétaire comme un autre. Et donc, un truc qu'on finance quand on le veut/peut, mais qu’on peut être tenté·e de couper quand il faut faire des économies, ou que soudainement ce n’est plus trop à la mode (cf. administration Trump). L’enjeu est donc plus haut, et implique une reprise en main du sujet par les pouvoirs publics, avec une définition claire des politiques attendues, des labels au niveau national, un renforcement des moyens alloués et une politique active de test et de contrôle.
Mais sinon go pour un post LinkedIn.
Sev