CDLT

Hater-generated content bi-mensuel sur le monde du travail. Sort le jeudi mais le mood est "comme un lundi".

image_author_CDLT_
Par CDLT
22 déc. · 8 mn à lire
Partager cet article :

Le syndrome de l'imposteur, cette saloperie

Comme une lettre à l'imposte

Allez, fini les conneries, on a bien rigolé avec des jeux absurdes et inutiles, il est temps de reprendre notre ligne édito sérieuse avec des articles absurdes et inutiles. Cette petite pause estivale de la pensée aura permis deux choses. D’une part, j’ai 3 idées d’articles d’avance, ce qui est une première. D’autre part, j’ai eu le temps de vous concocter un programme transmédia aux petits oignons, vous comprendrez à la fin.

Je commence à avoir des opportunités de faire des trucs que j’avais jamais faits avant, et j’ai découvert une chose fascinante à cette occasion : mon syndrome de l’imposteur était pas du tout parti, en fait. Je me suis mise à procrastiner, à pageblancher, à faire des trucs en dix versions que je trouvais toutes plus nulles les unes que les autres, bref j’ai découvert qu’en fait j’avais pas du tout construit une confiance en moi en kevlar, j’étais juste tranquillou dans ma zone de confort. J’ai trouvé ma propre naïveté rafraîchissante, et j’ai donc eu envie de partager avec vous ma réflexion sur le syndrome de l’imposteur, d’où vient-il, mythe ou réalité, quels sont ses réseaux ?

Le syndrome de l’imposteur, c’est quoi ?

Alors c’est pas du tout un syndrome, déjà. Enfin pas de type syndrome psy, pas de type répertorié dans les classifications des troubles mentaux (d’ailleurs, l’un des principaux chercheurs sur le sujet préfère l’appeler le “phénomène de l’insposteur”). Et ça vient avec un corollaire : ça a pas été super bien étudié, en tout cas pas très sérieusement. Donc on trouve des gens qui te disent que ça concerne entre 62 et 70% de la population, et d’autres, qui ont taffé (c’est une méta-analyse qui date de 2019 menée notamment par ledit chercheur), qui te disent honnêtement qu’on sait pas, et que ça se situe entre 9 et 82%, ce qui ressemble à des créneaux de livraison Chronopost. Selon une étude personnelle Ipsauce-pour Séverine Bavon, cela concerne 100% de mes ami·es, mais l’oeuf, la poule, tout ça.

J’ai sacrément plus envie de faire confiance aux gens qui ont taffé et qui disent qu’ils savent pas qu’à celleux qui sont sûr·es ou à moi-même, alors je vais les utiliser comme source principale. La définition qu’iels partagent, et que DeepL et oim on vous traduit généreusement, ça donne :

Le syndrome de l'imposteur […] décrit des personnes très performantes qui, malgré leurs succès objectifs, ne parviennent pas à intérioriser leurs réalisations, doutent constamment d'elles-mêmes et craignent d'être considérées comme des imposteurs ou des fraudeurs

Ensuite, d’après la synthèse d’études qu’iels ont réalisée, on découvre des choses intéressantes sur les prédicteurs du bousin (si vous avez la flemme de tout lire vous pouvez aussi écouter ce podcast) :

  • ça ne dépend pas tant que ça du genre : on dirait, pourtant hein ? Mais on n’a pas de preuve d’une prévalence plus forte chez les meufs. Cependant, c’est pas étonnant qu’on pense que les femmes sont davantage concernées, car 1/ le terme a été formulé en 1978 (par des psys, Clance et Imes) dans le cadre d’une analyse sur les femmes surperfomantes dans le taf 2/ les femmes parlent davantage de ces trucs-là, vu que les émotions pour beaucoup de mecs, c’est sale. En revanche ce qui est notable, c’est qu’il semble avoir des effets néfastes sur la performance des femmes, et moins des hommes.

  • sur l’âge : c’est pas encore sûr-sûr, mais quelques études auraient trouvé une corrélation entre vieillir et la baisse du syndrome de l’imposteur. C’est pas plus mal qu’il y ait des bénefs assortis au fait de faire “omph” quand on s’assoit.

  • sur les comorbidités : alors là y’a une corrélation plutôt claire. Les gens concernés ont aussi plus de chance de traîner avec elleux l’une de ces joyeusetés : dépression, anxiété, faible estime de soi, somatisation, difficultés sociales et compagnie.

Topito. En bref, je vais reprendre une métaphore que m’avait un jour donnée un médecin du travail après le pipi dans la coupelle : la confiance en soi, c’est comme le sac à dos de Dora (il a pas dit Dora, c’est ma touche perso). Quand il nous arrive des trucs bien, on les accumule comme des cailloux et on les met dans le sac à dos.
Eh bien le syndrome de l’imposteur, c’est partir à l’aventure professionnelle avec son pote le singe Babouche et un sac à dos troué comme un filet de courses en chanvre.

Et qu’on s’entende : il y a - LinkedIn en est la preuve - des gens qui l’ont pas mais qui devraient. Y’a aussi des gens qui l’ont pas, et à raison. Mais je suis assez persuadée qu’une bonne grosse majorité des gens (même Viola Davis, même Michelle Obama) est quelque part sur un spectre de ressenti d’imposture qui va de “il dirige ma vie et me paralyse” à “je cohabite avec mais il paye pas le loyer et parfois il laisse traîner ses slibards dans le salon pile quand j’attends du monde”.

Pourquoi on a le syndrome de l’imposteur ?

Il suffit de googler le bordel pour comprendre en environ 2 secondes qu’a priori, c’est tellement répandu que c’en est devenu un excellent mot-clé pour faire du clic en SEO, vu que 100% des sites qui parlent de taf, de psy, de lifestyle, de bien-être et compagnie ont fait leur série d’articles sur le sujet. Et en général, ça s’assortit d’une série de recommandations pour le vaincre, que je vais tenter de vous résumer dans la première sous-partie.

Première sous-partie : les raisons individuelles

T’as pas assez confiance en toi !
La solution : aie confiance en toi.

Voilà.

Deuxième sous-partie : les raisons structurelles

Si vous avez lu plus de deux articles de CDLT qui n’étaient pas des jeux à la con, a priori vous saviez d’emblée qu’on allait en arriver là. J’ai une conviction profonde, qui est non seulement que le syndrome de l’imposteur est causé par le monde d’aujourd’hui, mais qu’il est nécessaire au monde d’aujourd’hui. Qu’il est le carburant, l’huile, le rouage, je sais pas, une partie du moteur encore à définir, qui fait tourner le monde du travail.

J’ai votre attention ? Alors c’est parti pour l’explication du pourquoi (le cinquième va vous étonner, le sixième n’est pas non plus en mousse).

1/ Parce qu’on a les moyens de se comparer en permanence

Sachez que j’ai failli appeler cette partie “internet”. Je sais pas vous, mais moi, avoir accès à ce que fait tout le monde dans le monde entier, parfois ça me décourage. J’étais bien, avant, dans ma petite bulle d’ignorance, avant de découvrir que toutes les blagues ont été faites, tous les skills maîtrisés, tous les sommets escaladés, tous les sujets maîtrisés.
Et imaginez ce que c’est pour la Gen Z. Vous aussi, on vous a déjà dit - probablement dans une prez de tendances - que la Gen Z était incroyablement autodidacte, que les jeunes ne comptaient plus sur l’école et apprenaient tout·es seul·es la musique, le code, les langues ? Nan mais imaginez la pression, si t’es un jeune et que comme moi regarder un tuto t’emmerde royalement ?
Et Mon Chéri sur le Pimm’s : en plus d’avoir accès à toutes les ressources et à tous les accomplissements des autres gens, on a également accès à toute leur vantardise.
A leurs petits résumés bien packagés de leurs succès, avec sauts à la ligne et conclusions de type “et toi, qu’est-ce que t’attends ?” qui racontent ce qui a marché en taisant ce qui a foiré. Et c’est pas que la faute à Internet : vu l’état de l’industrie du cinéma, on est abreuvé ces temps-ci de biopics d’artistes ou des histoires de startups qui racontent le succès de façon linéaire, comme s’iels accomplissaient un destin écrit d’avance, soit malgré elleux, soit porté·es par leur brillance et leur confiance en elleux.
Ce qui aide pas des masses quand on est soi-même un humain normal, qui apprend en se plantant.
Cf : Un vieux CDLT sur le mythe du génie

Et le pire (j’annonce, c’est une digression, vous pouvez sauter ce paragraphe) c’est que de plus en plus, les gens qui se la racontent le font en se protégeant du bouclier… du syndrome de l’imposteur. Ça c’est une perf incroyable. Si vous me croyez pas, cherchez-le dans LinkedIn. C’est devenu le “je suis pas raciste mais…” du se-la-pétage. Une excuse qui permet tout. De plus en plus de gens le brandissent en étendard sans vraiment l’avoir, comme pour les TDAH, l’intolérance au gluten ou le second degré. Ce qui a l’effet incroyable de faire taire les gens vraiment concerné·es. Pépite.

2/ Parce qu’on manque de role models

Vu que c’est pas classe, de douter de soi, plus personne ne doute de soi.
Non, je déconne : les gens qui doutent ne le disent pas. Résultat, on a l’impression d’être la seule personne à se poser des questions dans un univers de gens confiants. C’est couillon.

Vous avez déjà demandé autour de vous ce qui fait qu’on considère une personne comme “le·la meilleur·e manager qu’on ait eu·e” ? Moi je le fais souvent (no shit Sherlock, à croire que j’anime une newsletter sur le travail). Parmi les réponses qui sortent fréquemment, j’entends des trucs comme : “iel avait pas peur de dire “je sais pas””, ou “iel avait pas peur de montrer ses émotions au travail” ou “iel avait pas peur de partager ses difficultés”.

Je crois fermement dans l’importance de normaliser le fait de transmettre aussi ses doutes et ses faiblesses (c’est pas contradictoire avec le point sur le se-la-pétage, un peu de nuance voyons).

3/ Parce que le management moderne est éclaté

On vit une époque formidable, avec d’un côté une explosion des metrics d’évaluation - petites étoiles, KPIs, KSF, OKR - et en parallèle une explosion du flou le plus total sur ce que c’est, que de faire du bon taf.

Avec la mode du management horizontal startupien (un article pas piqué des hannetons sur le sujet arrivera sûrement un de ces quatre dans vos boîtes mail), qui combine une absence assez forte de process et une juniorisation extrême, on a développé la conviction que pour rendre les gens heureux, il suffit de les lâcher dans la nature (pardon, on dit “leur laisser de l’autonomie”) sur des jobs surdimensionnés pour elleux, et leur filer des fatboys, des jeux d’arcade et du flat white gratos.

Une vieille étude de HBR (expliquée ici) avait analysé ce qui rendait les gens heureux dans le travail. Et un item avait surperformé : avoir un·e manager qui connaît notre travail. On se parle de compétence technique : quelqu’un qui, si besoin, pourrait faire le taf de l’employé·e, voire l’a fait et a monté les échelons, et est donc a priori bon·ne dans le taf en question. Hé ouais, c’est chiant, nous qui lisions avec délectation les posts LinkedIn sur le manager-leader-inspirant.

Tout ça pour dire que quand on fait un job dont on ne sait pas totalement à quoi il sert, sans trop savoir si on sait ce qu’on fait, supervisé·e par des gens qui ne savent pas totalement ce qu’iels font ni ce qu’on fait non plus, il y a des chances qu’on se demande fréquemment - et à raison - si on fait pas de la merde.

4/ Parce qu’on nous traite parfois comme des imposteurs

Il y a des contextes où on nous fait nous sentir pas à notre place.

Parce qu’on est trop femme, trop de couleur, trop pas hétéro, bref trop différent·e de la norme. Et plutôt que de changer ce contexte et ses millions de biais qui s’expriment de millions de façons, on préfère dire aux gens qu’ils ont le syndrome de l’imposteur, et donc que c’est à elleux de le régler à leur échelle. On invalide leur expérience tout en remettant la responsabilité sur elleux, belle perf (cf. cet ancien article de CDLT sur la responsabilité individuelle dans le taf). Y’a même pas besoin qu’un environnement soit toxique, pour que ça arrive (mais ça arrive très facilement dans les environnements toxiques).

Je ne vais pas vous faire la liste de comment ces biais s’expriment, mais pour montrer à quel point ça peut se nicher partout, je vous renvoie vers un épisode super intéressant du podcast du Guardian qui n’a a priori rien à voir puisqu’il parle de la rénovation nécessaire du Parlement de Westminster, mais raconte notamment comment même le bâtiment a été construit, dans ses moindres détails, pour des hommes riches valides et se retrouve excluant pour toutes les autres personnes.

5/ Parce que le business a besoin du syndrome de l’imposteur

Plusieurs business, en fait.

A commencer par celui du développement personnel, qui s’effondrerait purement et simplement si on avait conscience de notre valeur. Non mais, sans virer complo, l’idée du développement personnel c’est quand même de nous accrocher à grands coups de solutions miracles, qui ne peuvent techniquement pas non plus trop marcher parce que sinon le développement personnel n’aurait plus lieu d’être. Et donc à persister à traiter le syndrome de l’imposteur comme un problème individuel alors qu’il ne l’est pas, on maintient un système bien juteux de dépendance.

A continuer par celui des influenceurs et particulièrement des influenceurs pro, qui fondent entièrement leur business sur le fait qu’on pense être sacrément nul·les à des trucs qu’on fait déjà, et qui nous vendent donc des formations et des bootcamps principalement pour nous rassurer. Parce qu’on cherche à s’armer d’une légitimité qu’iels ont construite simplement en disant qu’iels l’ont (et qu’on contribue à nourrir en y croyant). On est sur un Ponzi de la réassurance, moi je dis bravo.

Et à finir par les employeurs. C’est même pas leur faute, c’est intrinsèque au business : l’employé·e qui a le syndrome de l’imposteur c’est l’employé·e parfaite. C’est celui·celle qui va sur-délivrer sans jamais rien demander. Qui va demander une promotion quand iel fera déjà le taf. C’est celui·celle qui va accepter des nouveaux challenges (= plus de taf) en échange de pas beaucoup, et qui va tenter de surcompenser le déséquilibre en donnant dix fois plus. Donc au pire : ça marche pas et on aura essayé sans trop se mouiller, au mieux, c’est bénef. Et quand je dis bénef, je dis ça littéralement : y’a des boîtes dont la marge entière dépend de la capacité des gens à faire plus que ce qu’on attend d’elleux sans avoir la compensation qui va bien. Le syndrome de l’imposteur, c’est une machine à cash.

6/ Parce que parfois… on est des imposteurs

Sans que ça soit nécessairement une mauvaise chose.

Par exemple, prenons les métiers de conseil, quels qu’ils soient. Dans énormément de cas, leur valeur vient justement du fait qu’ils sont là pour apporter une perspective extérieure. Mais par définition, elle est aussi souvent déconnectée des choses concrètes : globalement, le conseil revient à expliquer la vie à des gens dont on ne fait pas le métier, alors que c’est à elleux d’affronter les conséquences de ce qu’on recommande. Dans ce cas-là, c’est plutôt sain, de se demander si on fait pas de la merde : ça évite d’en faire.

Mais on peut aussi se parler du fait qu’on bosse dans des contextes qui évoluent en permanence. Qu’on se parle de technologie ou même de l’apparition d’enjeux bien touffus comme la RSE : globalement, même si on fait l’effort de s’upgrader soi-même en permanence, on est jamais très loin de notre seuil d’incompétence vu qu’il est une cible mouvante.

Et on va terminer sur un sujet que j’ai traité un peu dans mon pavé sur les Millennials : pour les raisons susmentionnées, mais aussi parce que nos aspirations et notre relation au travail changent, on est en train tous·tes d’abandonner l’idée d’une carrière linéaire. Ça veut dire qu’après avoir bien fait nos ptites études qui menaient à notre ptit métier qui va bien, on se retrouve, généralement à un âge où on essaye pourtant de se stabiliser dans la vie, à devoir repartir professionnellement de zéro, ou de pas beaucoup. Que ça soit en changeant radicalement de voie, en passant du salariat à l’indépendance ou juste en changeant de secteur/domaine, on se retrouve à redevenir pas très compétent·es sur des trucs, et forcément, à douter. Et c’est plutôt cool au fond. Aussi cool que c’est terrifiant.

Ok et donc ?

Et donc en un mot comme en cent : ce n’est pas un phénomène individuel, ce qui permet, au minimum, de se libérer de la culpabilité de le ressentir, au mieux, d’apprendre à vivre avec et de le voir comme un indicateur qu’à un moment précis, on est en train de dépasser des limites, que ce soit les siennes ou celles des autres, et que c’est plutôt bon signe.

Et donc, parce qu’il fallait absolument que je cache une annonce importante pour moi sous un gros pavé histoire de limiter mes chances que vous la voyiez : voilà, j’ai envie de faire grandir CDLT.

Ecrire CDLT et explorer les méandres du monde du travail m’éclate au plus haut point depuis 2 ans et demie, et j’ai envie d’explorer un peu son potentiel et de le donner à voir à encore plus de gens. Ça passera par plein de trucs, mais aujourd’hui ça commence par deux trucs :

  • Un compte Instagram
    que vous pouvez suivre dès maintenant pour faire partie des 100 premiers (et peut-être 100 tout court) followers, et qui sera notamment rempli de memes créés à l’arrache par une non-graphiste et de réflexions plus ou moins profondes sur le monde du travail

  • Un compte LinkedIn
    qui lui va être un énorme n’importe quoi, là franchement c’est l’impro la plus totale, la ligne édito se résume à “un compte parodique d’une startup de merde”, franchement faites ce que vous voulez, marquez-vous comme employé·es, suivez, commentez au premier ou au second degré, le seul objectif c’est d’être subjectif

Je n’ai évidemment aucune idée de ce que tout ça va donner, mais ça me fait kiffer et marrer et flipper donc c’est un bon début. Un grand merci à celleux qui m’ont accompagnée sur le chemin du doute.

CDLT,

Sev