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Hater-generated content bi-mensuel sur le monde du travail. Sort le jeudi mais le mood est "comme un lundi".

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Par CDLT
31 mars · 6 mn à lire
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Les Millennials, génération de la lose

Synchronisez vos Flik Flak et sautez dans le Bus Magique, on part en road trip sur l'autoroute de l'angoisse générationelle

CursedCursed

J’ai percuté un truc l’autre jour.

Attention, ça dénonce. Article engagé, vent debout contre l’injustice. J’accuse tranquillou.

On parle de plus en plus des transformations nécessaires du travail. De la réflexion collective à mener pour qu’il s’adapte aux besoins/attentes d’une génération. Et quand on parle de ça, on parle de qui (moi la première) ? De la Gen Z (qui fait tout péter) ou des seniors (auxquel·les le marché s’adapte mal).
On n’en parle pas assez, qu’on s’entende. Je suis pas là pour dire qu’on en fait trop, au contraire. MAIS.

On oublierait pas quelqu’un ? Au hasard, la génération qui constitue la majorité de la force de travail aujourd’hui ? Celle qui est en plein milieu du zbeul, un pied dans le monde d’avant, un pied dans le monde d’après, dans un grand écart beaucoup trop risqué pour sa souplesse devenue défaillante, de même que sa résistance à l’alcool mais c’est un autre sujet.

Les Millennials. Ou Génération Y (ce qui en anglais fait un jeu de mots très sympa avec “Generation Why” mais on s’est rendu compte que cette génération demandait moins “why?” que “WTF?” donc on a abandonné).

Instant définition : alors y’a débat, mais on s’en (dé)bat les steaks, donc disons que les Millennials en 2023 ont plus ou moins entre 25 et 42 ans. Les gens qui ont connu le Club Dorothée, en gros.

Génération désenchantée. Génération outragée. Génération brisée. Génération martyrisée.

Vous le sentez venir : voici une ode, un manifeste, une déclaration, un panégyrique, bref un texte sans objectif ni réel point de vue mais écrit avec emphase sur les Millennials, génération de la lose des transformations du monde du travail.

Et bien évidemment tout ça est une généralisation, et concerne en prime aussi les plus jeunes et les plus vieux, mais laissez-nous notre moment.

Tout commençait pourtant bien

Non, je déconne.

Pour beaucoup, notre premier souvenir d’actu est l’un de ceux-là :
- la guerre du Golfe
- la mort de Diana
- France 98
- le 11 septembre

Ce qui en dit déjà long sur le monde doux-amer post-Guerre Froide, fin-de-l’histoire, ah-non-c’est-pas-fini-en-fait dans lequel on arrive.

Les parents fumaient dans la voiture et c’était pas encore évident qu’il fallait attacher sa ceinture. La planète cramait déjà mais bon, c’est José Bové qui l’expliquait tout en démolissant des McDo donc c’était pas totalement audible. Charlie et Lulu étaient les parangons du cool et les fournitures Diddl coûtaient tellement la peau du cul qu’on collectionnait des FEUILLES de blocs-notes.

Mais bref, c’est vraiment parti en couille quand on est entré sur le marché du travail. J’aurais bien fait encore 4 paragraphes sur les Tamagotchi, les Polly Pockets, Creeks, DDP, Xéna la guerrière, le bug de l’an 2000 et le bruit du modem 56k, mais à ce moment-là, on avait encore de l’espoir donc c’est pas intéressant.

On a débarqué, frais comme des gardons, autour de la crise de 2008.
Qu’on ait connu l’avant ou juste l’après, on a capté à ce moment-là qu’un truc n’allait pas.
On était pumped up comme jaja par la génération d’avant, qui nous avait tout bien expliqué, et on avait tout bien compris :

  • il suffisait de faire de bonnes études

  • puis de choper un CDI

  • et de travailler dur

Et globalement, tout irait bien.

Tout n’est pas allé bien.

Le parpaing de la réalité

Vous vous souvenez, à l’époque les Millennials c’était les JEUNES. Donc comme aujourd’hui avec la Gen Z, y’avait plein d’études pour essayer de comprendre cette génération mystérieuse et inquiétante.

J’ai essayé de les retrouver, et c’est pas piqué des hannetons.

La bible, c’est Millennials at work : reshaping the workplace de PwC en 2011, qui interrogeait 4500 jeunes diplômé·es dans 75 pays sur leur vision du travail en plein dans le dur de la crise. Avec 10 ans de recul, elle pose vraiment toutes les bases pour qu’on se prenne une bonne vieille raclée collective. C’est parti pour un petit instant graphs et naïveté :

Premier emploi, premiers compromis

Avec la conjoncture, il a bien fallu avaler des couleuvres. Mais à l’époque on se disait qu’on se rattraperait.

Méritocratie notre amie

On pensait que le sexisme en entreprise c’était un sujet, mais pas un gros sujet.

Pour info - j’ai eu la flemme de chercher plus loin parce que bon, c’est du bon sens - mais voici une étude de l’Université de Cambridge en 2019 au UK. Gros scoop : ça s’est pas passé comme prévu.

On avait envie d’avoir envie

On voulait, main dans la main avec nos employeurs, construire une belle carrière qui claque bien.

Comme disait un grand auteur, lourd a été le parpaing de la réalité sur la tartelette aux fraises de nos illusions.

Cette génération a tout fait dans les règles, mais le contrat a pas été tenu. Même pour les chanceux·ses qui ont réussi, au prix d’études coûteuses et de stages qui vont bien, à se glisser dans les interstices des gels d’embauches pour dégotter leur premier CDI, et qui ont tenté l’ascension corporate selon les règles. On leur avait promis qu’iels s’accompliraient dans le travail. On leur avait promis que ça valait le coup.
Trois burn outs plus tard, ça valait pas le coup.

Avec transition

La particularité des Millennials, c’est qu’iels se sont pris l’avant/après en pleine face.

Les Baby Boomers ont connu un bon moment où c’était quand même pas mal.
La Gen Z a débarqué alors que tout était déjà pété.
Les Millennials sont arrivé·es avec l’optimisme et les codes des Boomers dans un monde où les règles étaient en train de changer.

On les a formé·es pour des métiers qui n’allaient plus exister.
On les a pas formé·es pour des métiers qui n’existaient pas encore (logique).
On les a pas préparées au fait qu’iels feraient pas le même taf toute leur vie.
On leur a expliqué que la seule voie c’était le CDI (mais sans leur en filer).
On leur a dit qu’une belle carrière c’était rester 25 ans dans la même boîte.
On leur a dit que s’iels bossaient dur, à la fin y’aurait la retraite.

Et puis paf. Crises économiques, attentats, pandémie, guerre, crise climatique j’ai déjà fait la liste, ajoutons à ça les internets, les bullshit jobs, la discrimination, le burnout, les AI, l’éjection des seniors, la retraite qui s’éloigne peu à peu, c’est la merde et les Millennials ont pas eu le mode d’emploi (avec la PJ c’est mieux, pourtant).

Alors à l’échelle d’une génération, on assiste à plein de crises personnelles qui sont en fait une crise systémique.

On peut rigoler sur l’ouragan de reconversions qui est passé sur nous (84 % des gens disent avoir envisagé de se reconvertir en raison d’une insatisfaction professionnelle selon France Compétences), et sur la vague de potier·ères, fromager·ères, profs de yoga, menuisier·ères, fleuristes et micro-brasseur·ses qui débarque dans nos timelines.

Mais c’est un enjeu de société, pas un enjeu individuel.
On va pas pouvoir faire le même métier toutes nos vies.
C’est pas un caprice, une question de “quête de sens” ou de “quarter-life-crisis”.

Parce qu’on a choisi notre formation et nos premiers jobs pour des raisons qui n’ont plus cours aujourd’hui.
Que la pandémie a remis le travail à sa juste place dans nos vies.
Qu’on rit jaune en disant que “de toute façon on aura pas de retraite”, mais que ça implique que ça sert à rien d’attendre plus tard pour kiffer. Vu qu’il n’y aura pas de plus tard pour kiffer.
Qu’on va devoir travailler plus longtemps, mais qu’on ne sait pas dans quoi. Ce qu’on sait c’est qu’on est beaucoup à faire le genre de métier où on imagine mal quelqu’un de 67 ans continuer à être au top.

C’est pas rien.

Tout est KO ?

Et donc j’ai quand même envie de nous dire bravo, à nous tous·tes collectivement. Celleux qui ont monté les échelons alors que ça glissait sa race, celleux qui ont tout plaqué pour, celleux qui ont fait un bilan de compétences avant de finalement revenir à leur ancien job, celleux qu’ont trouvé une planque confortable, celleux qui ont monté leur boîte, celles qui ont heurté le plafond de verre et se sont fait une bosse, celleux qu’ont refusé les règles dès le début car balek, celleux qui ont fait salariat-freelance-salariat-freelance, celleux qu’ont trouvé le taf qui leur va parfaitement bien et qui voient pas de quoi je parle, celleux qui savent qu’on les laissera pas vieillit là où iels bossent, celleux qui quiet quit, celleux qui se remettent d’un burn out, celleux qui vivent leur meilleure vie en free, celleux qui sont parti·es vivre à l’autre bout du monde ou dans un endroit où y’a pas la 4G, celleux qui vont claquer leur dem lundi-cette-fois-c’est-la-bonne.

Bref, je fais un gloubi-boulga sur toute une génération, mais bon, vous avez l’idée.

C’est pas de la tarte. Mais ce sont aussi les générations qui prennent le plus cher qui montrent le plus de capacité d’innovation. Contre-intuitivement, les Millennials ont plus d’esprit d’entreprendre que les autres générations, et sont en train de porter sur leurs épaules le gros des évolutions économiques et sociétales qu’il va bien falloir qu’on se tape.

Alors au global, parce que j’aime bien finir mes déjections littéraires par quelques pistes semi-constructives, on a quand même dans le monde du travail une réflexion assez importante à mener - outre les habituelles questions de flexibilité, hybridité et compagnie dont je vous rebats les oreilles à chaque fois - spécifiquement sur l’accompagnement au changement de carrière, à la formation, aux trajectoires interrompues, à l’accès au logement et tutti quanti, pour des gens qui sont au coeur du raz-de-mariée et dont la carrière est bien partie pour être faite de zig-zags.

CDLT

Sev