CDLT

Hater-generated content bi-mensuel sur le monde du travail. Sort le jeudi mais le mood est "comme un lundi".

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Par CDLT
29 sept. · 7 mn à lire
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Où sont les vieux ?

Avec leurs disques d'André Rieuuuuu

Commençons par NE PAS poser les bases cette fois : j’allais partir sur la pente glissante de définir “vieux” ou “senior”, et en fait on s’en bat les steaks, de toute façon plus on vieillit et plus “vieux” c’est plus vieux que soi.J’ajouterai aussi que d’une part, il faut appeler un chat un chat, donc je ne m’efforcerai pas de trouver de synonymes plus acceptables de “vieux” (sauf quand un jeu de mot le nécessitera ÉVIDEMMENT), et que d’autre part je n’utiliserai pas l’écriture inclusive sur ce mot, parce que vieux.ieilles ça fait mal aux (v)yeux.

Bref, j’ai été émue par une pub pour une marque de protections contre les fuites urinaires :

Ce spot a gagné un concours de Channel 4, “Diversity in advertising”, cette année sur le thème “ageism”, fondé sur une étude qui montrait que dans la pub TV anglaise, des +50 ans n’apparaissaient que dans 29% des spots, dont seulement 12% en tant que personnage principal (et TMTC que c’est dans des pubs à 14h en semaine pour des monte-escaliers et des trucs genreOr Postal(oui ça fait longtemps que j’ai plus la télé (oui ce sont des parenthèses dans les parenthèses, y’a quoi))).

Je ne vais pas m’étaler sur la finesse de ce film, ni sur la justesse d’enfin raconter la ménopause comme une simple étape dans le parcours de vie des femmes, alors qu’elle est trop souvent vécue comme une invisibilisation, une mort de la féminité, une petite fin.

J’avais bien aimé ça, et aussi ça, mais je crois que je n’avais jamais vu une aussi jolie représentation de l’âge, qui réussit en prime à ne pas vraiment parler d’âge.

Je me suis demandé pourquoi c’était si rare, et la réponse ne va pas du tout vous étonner.

Les yeux dans les vieux

Si j’en crois la page 1 de Google car flemme, entre l’étude lancée par BTA, un autre article random ainsi que ce truc de Stratégies EN 2004, l’âge moyen dans notre secteur tournerait autour de 30-32 ans (36 au UK). L’âge moyen des actifs·ves en France ? Plutôt autour de 40 d’après l’Insee et le BIT (coucou, tu…).En fait, je ne vois pas pourquoi je me casse la tête à essayer de trouver des chiffres pour prouver un truc qu’on sait déjà, car ça se voit comme l’aîné au milieu de la figure.

Et les causes, elles aussi, sont connues. Marché tendax, course à la renta, business model agence fondé sur le temps passé qui force, forcément, à tenter de junioriser, et qui font qu’à un moment, si tu vises pas un poste de direction, tu risques d’avoir une date de péremption (d’ailleurs ne lisez pas ce Fishbowl c’est trop déprimant). Il y a aussi la tendance de tout le secteur à s’exciter sur la moindre nouveauté, genre à tout hasard le metaverse (il va pleuvoir). Et cette croyance que la cible jeune c’est la plus importante, alors il faut recruter des jeunes puisqu’iels comprennent les jeunes. Et pour en rajouter une couche, il y a évidemment la fuite des talents (surpondérée sur les femmes) qui, à un moment de leur vie, ont un peu envie d’une vie, potentiellement d’une vie de famille, et d’un salaire cool. Bref.

Je ne sais pas quelles sont les causes et les conséquences, oeuf, poule, tout ça mais en prime notre secteur entier a une sévère propension au au jeunisme (“Tendance à exalter la jeunesse, ses valeurs, et à en faire un modèle obligé”) ET à l’agisme (“Attitude de discrimination ou de ségrégation à l'encontre des personnes âgées”).

Et vous savez déjà pourquoi c’est un problème mais ON VA LE REDIRE.

Tous les vieux dans le même panier

Toujours selon l’INSEE (Lohan), en 2040, la France comptera 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021.

Ils ont même fait un graphique d’à quoi la France va ressembler dans le turfu (si la planète n’a pas déjà totalement cramé évidemment).

Oui donc tout ça pour dire qu’on est déjà un pays de vieux, qu’on sera un pays de vieux puissance 10 dans 50 piges, et que donc la silver économie ça va un peu être l’économie en fait (la BPI le disait y’a 6 ans), et que le pouvoir d’achat, c’est là qu’il est.

Et donc qu’il va peut-être falloir commencer à faire plein de trucs, comme

  • MIEUX SEGMENTER car si on a réussi à créer une catégorie “18-25 ans” qui s’étale donc sur 7 ans, c’est insultant (et non un Calife) de mettre dans le même panier une génération qui s’étale sur plus de 30 piges, ou de juste la séparer entre “jeune senior actif riche qui croque la vie à pleines dents” vs “grabataire”.
    Ajoutons que si leur niveau de vie moyen est à 108 % de celui du reste de la population (ce qui est un record), malheureusement, ça ne va pas durer et les signes indiquent que ça va descendre, et que les disparités vont se creuser. Donc bref, c’est pas un segment homogène du tout.

  • DÉPASSER LES CLICHÉS : what if les vieux n’étaient pas que des parents, des grands-parents, ou des gens sages qui ont beaucoup d’expérience ? Et si il y avait des insights sympa à trouver sur elleux ?

  • ARRÊTER D’ESSAYER DE RAJEUNIR LES CIBLES, et pourquoi pas soyons fous dépasser la croyance que si la cible d’une marque vieillit, la marque va mourir avec elle. En fait, collectivement pour éviter de déprimer on va pas avoir d’autre choix que de réduire en miettes ce biais qui nous amène à croire que jeune = cool, qu’une cible aspirationnelle est minimum 10 ans plus jeune que la vraie cible. Et peut-être même qu’un jour on arrivera à l’accomplissement ultime : mettre un vieux dans une pub qui s’adresse pas qu’aux vieux.

Bref, même si on met de côté l’évidence du fait que l’expérience a de la valeur (parce que bon, on le sait et pourtant on en est là) on va avoir besoin, en tant que marché, de comprendre nos cibles, idéalement autrement que par des études quali. J’aime beaucoup Fearless, qui s’est lancé y’a 2-3 ans, sur ces deux axes précisément.

On est tous un vieux qui senior

La plupart des raisons derrière cet état de fait sont un mélange de culturel/structurel, donc y’a pas de formule magique, cela dit ça pourrait être cool de réfléchir à :

  • Ses propres biais. Je fais un truc depuis que cet article me trotte dans la tête : je me regarde regarder les personnes qui sortent de l’âge/image (=imâge, on dirait un nom d’offre de relooking seniors) de quelqu’un bossant dans cette industrie. C’est assez éclairant.
    Et même si j’adore les blagues sur les boomers, c’est une antagonisation de plus dans un monde qui n’en a pas besoin. Sauf évidemment quand iels votent comme s’il n’y avait pas de lendemain et soutiennent la retraite à 65 ans là franchement faut ptêt pousser mémé dans les orties.

  • Son propre projeeeeet. A moins de vouloir gravir les échelons (ce qui est tip-top si ça vous chauffe hein, allez-y, go tigers), il y a fort à parier que dans l’industrie en général, en agence en particulier, il soit difficile/peu souhaitable de garder sa place dans une pyramide des âges qui se rétrécit pas mal vers le haut. Ce qui incite à anticiper, et commencer à préparer une exit strategy, pour éviter la crise existentielle qui tombe du jour au lendemain, où on se dit qu’il faut changer de vie là tout de suite, mais qu’on sait pas ce qu’on sait faire, alors on se reconvertit en urgence dans la menuiserie alors qu’en fait on voulait faire de la céramique.

  • Des modèles différents de travail. Alors c’est la tarte à la crème de TTFO, mais la tarte à la crème, en dessert, au ptit dej, au café ou dans la tronche de BHL, on s’en lasse jamais. Je ne parle ici MÊME PAS de changer le modèle de rémunération de la création, même si évidemment c’est le vrai sujet. Je parle juste, vu que notre retraite va pas aller en se rapprochant, et qu’il est vrai que la séniorité ça coûte plus cher, d’envisager des formats différents de travail, qui font se rencontrer les impératifs financiers des boîtes et les aspirations des gens alors que leur vie évolue. Des temps partiels, des années sabbatiques, de la formation, de l’hybridité quoi.

  • L’output. On ne sortira jamais de l’idée que cool = jeune si on ne travaille pas sur nos perceptions, et ÇA TOMBE BIEN on bosse dans une industrie qui influe sur les perceptions. Je ne parle pas de mettre Iris Apfel dans une campagne pour une app d’investissement en crypto (quoique, ça serait une Appfel) (il est vraiment temps que cet article s’arrête), mais, pas à pas, petit à petit, essayer de représenter des gens un tout petit peu plus âgés que ce qu’on aurait imagé d’emblée peut-être.

Bref, je vous laisse, j’ai mon premier examen ophtalmo depuis la visite médicale à l’école primaire, et non, merci, j’ai pas envie d’en parler.

Bisous,

Sev