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si vous vous êtes abonné·e suite à mon interview sur CDLT dans Welcome to the Jungle. Vu ce qui vous attend aujourd’hui, soit vous allez pas être déçu·e, soit vous allez être méga-déçu·e. Y’aura pas d’entre-deux.
Et comme toujours
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Le féminisme corporate est un sujet qui me démange depuis longtemps.
Genre eczéma. Purulent.
Je ne l’ai pas traité jusqu’ici pour deux raisons :
- j’ai beau essayer, je n’arrive pas à lire l’origine du mal : Lean In de Sheryl Sandberg
- c’est un domaine beaucoup trop vaste et complexe pour mes compétences
Et puis j’ai réalisé :
- que j’avais qu’à écouter des résumés et son Ted Talk
- que le manque de légitimité m’a jamais empêchée d’aborder un sujet jusqu’ici
ET DONC ME VOILÀ.
Avec un de ces master-articles à 45min de temps de lecture qui font le sel de CDLT tout en sonnant le glas de votre productivité.
Et je vous préviens, ça va pas être tendre.
Si je m’en sors bien je me mets tout le monde à dos et je perds direct les 500 abonné·es que je venais de gagner (l’article Welcome est là au cas où vous l’avez loupé y’a 10 secondes).
Commençons par le commencement.
Petit état des lieux
“Nan mais c’est bon, vous l’avez eue l’égalité, de quoi vous vous plaignez ?”
C’EST VRAI ÇA, DE QUOI ON SE PLAINT ?
C’est pas comme si :
55% des diplômées du supérieur étaient des femmes
mais qu’elles étaient seulement 17,5% des ComEx
elles devaient travailler 60 jours de plus pour atteindre la rémunération d’un homme
1 femme sur 5 avait été victime de violences sexuelles et/ou de harcèlement au cours de sa carrière
Les trois quarts des femmes avaient déjà entendu dans le cadre du taf des préjugés associés à la maternité (75%), dont 23% à leur sujet
les inégalités h/f de patrimoine étaient passées de 9% à 16% entre 1998 et 2019
97% des auxiliaires de vie et ass’mat et 97% des secrétaires, mais moins d’1/3 des chercheurs·ses, et 17% des gens dans la tech étaient des femmes (qu’on s’entende, ces métiers ils sont tous bien, pas le moindre jugement de valeur, y’a juste comme un déséquilibre).
40% des hommes pensent qu’il est normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants (et rien à voir mais je manquerai pas une occasion de la placer : ¼ des 25-34 ans estime qu’il “faut parfois être violent pour se faire respecter” et 59 % qu’il "n’est plus possible de séduire une femme sans être vu comme sexiste".)
Donc je propose, là comme ça, tranquillou-bilou, qu’on se mette d’accord sur un point de départ (car l’expliquer n’est pas le but de l’article) : le monde du travail a été créé par des hommes pour des hommes, ses places de pouvoir sont trustées par des hommes, ses métiers vus comme valorisants sont principalement occupés par des hommes, les femmes y sont discriminées, moins payées et poussées vers le care, ou dehors parce qu’elles ont la charge de la maternité, et même si ça bouge depuis quelques décennies, ÇA BOUGE PAS VITE.
(tenez j’ai fait un carrousel pour illustrer le sexisme en entreprise sur Insta)
Et donc, parce que ce constat est relativement partagé, un autre constat est lui aussi partagé : alors là oui faut que ça change dis donc (ne serait-ce que - puisqu’il faut trouver une BONNE RAISON - parce que c’est un manque à gagner : selon la Commission Européenne, accroître le nombre de femmes dans le numérique, par exemple, permettrait d’augmenter le PIB annuel européen de 9Mds€).
S’est alors développé ce que j’appellerais le “féminisme corporate” un rejeton un peu spécial du féminisme, orienté sur à peu près une seule chose : aider les femmes (un certain type de femmes, on en reparlera) à atteindre le même succès que les hommes (défini par la réussite professionnelle). À pas feutrés au début, puis vachement plus ouvertement depuis que le féminisme est devenu acceptable, il s’est traduit par moult grandes annonces, solutions révolutionnaires, et engagements d’entreprise. Toutes les boîtes sont féministes maintenant, ça fait chaud au coeur.
Ça se voit pas dans les chiffres en revanche, c’est bizarre.
Et c’est là qu’on en arrive au point de vue de cet article, je vous avais promis que ça allait être corsé : je suis intimement convaincue que les vagues successives de “féminisme corporate” n’ont absolument pas vocation à faire changer les choses. Au contraire : le féminisme corporate est un outil de maintien du status quo.
VOILÀ.
Maintenant je vais expliquer pourquoi. Et je vais procéder en brossant trois grandes phases du féminisme appliqué à l’entreprise (que j’ai moi-même identifiées, donc c’est probablement ni exhaustif ni même pertinent), de façon semi-chronologique, pour montrer à quel point elles servent absolument à rien.
Et je vais disclaimer ma race au fil de l’article, alors autant commencer ici : c’est clairement pas le féminisme ma cible, c’est son dévoiement.
I/ Lean In - la responsabilisation individuelle des femmes
On va pas commencer dans les années 80, où des femmes jusqu’au bout des seins ont réussi l’amalgame de l’autorité et du charme, si vous le voulez bien.
On va commencer dans les années 2010. Car dans les années 2010 est apparu ce qui semblait la solution à tous les problèmes : un nouveau type de role model. Des meufs smart et powerful, genre Sheryl Sandberg (n°2 de Facebook) ou Marissa Mayer (VP Google, DG Yahoo) qui réussissaient la prouesse de jongler entre maternité et carrières impressionnantes dans des boîtes cool, le tout avec classe (que j’admire si tu l’permets), et se sont donné pour mission d’aider les autres meufs à faire comme elles.
Ah voilà ! Ça c’était aspirationnel !
Parce qu’Angela Merkel c’est sympatoche mais elle porte des chaussures plates donc : pas sexy.
Sheryl Sandberg nous a donc, pour nous aider à réussir nous les zouzs, gratifiées de Lean In, une sorte de manifeste dédié à la réussite des femmes dans notre monde injuste, qui a été embrassé par la pop culture à l’époque comme LA voie, LE modèle pour le succès féminin (Lean In est devenu une organisation, des cercles, des formations et tutti quanti).
1/ C’est pas 100% de la merde
J’essaie d’apporter de la nuance comme je peux hein.
En gros, le principe du féminisme à la Lean In (pour qu’elle revienne, et j’ai pleuré, PLEURÉÉ oh j’avais trop de peine) c’est : même si le game est dur, des femmes ont réussi à exploser le plafond de verre, c’est donc bien la preuve que c’est possible. Il suffit donc de faire comme elles, et mécaniquement, ça va marcher, on aura plus de meufs en position de pouvoir, et ça ouvrira la voie à plus de meufs, et paf, ruissellement, quoi, en gros.
On va voir les limites du bousin, mais il faut avouer que dans Lean In, il y a quelques idées qui n’ont tout de même pas été inutiles dans la réflexion globale :
le fait que Sheryl Sandberg s’est revendiquée féministe à un moment où c’était sale, même si on reparlera du type de féminisme en question
le fait que cette fameuse “compétition entre femmes” qu’on adore mettre en avant pour montrer que c’est quand même des mégères, est structurelle : y’a moins de places pour les femmes, donc oui mécaniquement elles se retrouvent à devoir se battre entre elles pour un gâteau plus petit
le fait que le succès professionnel des femmes commence à la maison : et que tant qu’elles se taperont la part du lion des tâches domestiques, elles ne pourront pas s’investir autant dans le taf (pour info les dernières études sur le sujet montrent que l’écart homme/femme sur les tâches domestiques en France se réduit… parce que les femmes délèguent plus à des services payants, SUPER) (mais attention, incroyable nouvelle : “Les hommes sont un peu plus nombreux à prêter main forte au quotidien dans les activités domestiques avec une évolution de 36 à 43 % en sept ans”) (“PRÊTER MAIN FORTE” SÉRIEUSEMENT ? Genre c’est vraiment sympa d’aider dans ces corvées intrinsèquement féminines.)
le fait qu’on a appris aux femmes à ne pas aspirer au succès, et à diminuer leurs accomplissements (en disant, genre, que c’était un travail d’équipe) mais pas leurs échecs (non ça c’est leur faute à elles perso), et pas aux hommes
le fait qu’il y a une corrélation négative entre ambition et sympathie chez les femmes : qu’à même niveau de dents qui rayent le parquet, un homme sera valorisé, et une femme mal PAS DU TOUT, AU CONTRAIRE
le fait que tout se joue au niveau du congé maternité, et que parfois, certaines femmes ralentissent leur carrière même avant d’être enceintes, en anticipation (c’est clairement pas le seul problème avec le congé mat’, ni même le premier, mais sa fé réfléchire)
Ok, ça c’est fait, passons au dégommage en bonne et due forme.
2/ Mais un peu quand même
Non, parce que ça n’a pas été un cadeau quand même cette histoire.
Le problème principal, et pas des moindres, c’est le point de vue : Sandberg le dit d’elle-même, si elle est d’accord que les problèmes sont structurels, ce qu’elle offre n’est pas une réponse systémique mais individuelle au problème. En bref, vous voyez venir ma marotte préférée : mettre toute la responsabilité sur les femmes pour changer leur situation plutôt que de questionner/changer leur contexte.
Ce qui vient avec plusieurs problèmes, qui m’énervent sa race, genre si vous pouviez entendre la violence avec laquelle je tape sur les touches là, c’est clairement pas ASMR (plus ASMRde) :
ça culpabilise les femmes : parce que le message derrière ce féminisme de warrior, c’est que certaines y arrivent, donc si toi t’y arrives pas, c’est ta faute et pas du tout celle de ton boss qui t’appelle “miss” et t’a jamais promue car tu “manques de leadership”
ça leur donne une responsabilité de plus : celle de changer les choses, elles ont clairement que ça à foutre en plus
ça ne s’applique qu’à une petite portion des femmes : disons CSP+, blanches, cis, hétéro, éduquées, dans un certain type de métiers du tertiaire, globalement t’es infirmière à 100 heures par semaine ça te fait une belle jambe (mais tu peux filer de l’insuLine In et de l’amoxicilLine In à tes patients stuveux)
ET SURTOUT ÇA NE CHANGE RIEN. RIEN DE RIEN. Au mieux ça crée quelques success stories qui servent à prolonger le cercle vicieux de la culpabilisation. Mais en mettant des femmes à la tête de structures qui restent tout de même excluantes pour les femmes - et encore plus pour celles qui ne rentrent pas dans le modèle du point précédent - ça amène à ZÉRO changement de fond. Et je dirais même pire, accrochez-vous ça va piquer : ça donne une place prépondérante à un certain type de femmes. Celles qui acceptent les règles, qui se sont pliées au système, et ont accepté de donner 10 fois plus pour le même résultat. Et qu’on s’entende : big up à elles. Des cadors, des warriors. Mais rien ne dit qu’elles vont permettre ensuite à des femmes différentes, celles qui n’entrent pas dans ce moule, de suivre leur sillage.
BREF, je suis pas la première à nuancer (ouais, nuancer, lol) les apports de Lean In, on a eu une décennie pour le faire. Les chercheur·ses ont appelé ça le “féminisme néolibéral” : un féminisme qui adopte absolument tous les codes du néolibéralisme et s’y intègre sans le questionner, voire en le renforçant. Dans cette excellente interview, l’essayiste Sandrine Holin, autrice de Chères Collaboratrices, résume tout ça mieux que moi :
Mais le féminisme que l’on observe aujourd’hui dans le monde de l’entreprise, incarné par des femmes aux carrières impressionnantes et soucieuses de “réussir” leur vie familiale et professionnelle, intériorise selon moi le dogme néolibéral. (…) Le problème est que ces discours font peser sur les femmes la seule responsabilité de leur réussite ou de leur échec : c’est à elle de briser le plafond de verre en apprenant à mieux se mettre en avant, à prendre la parole en public etc. Pour moi, ce raisonnement, qui devient systématique en entreprise, est dangereux parce qu’il occulte une grande partie des inégalités dont souffrent les femmes.
Voilou. Je me calme.
AH MAIS NON JE ME CALME PAS EN FAIT.
Parce que maintenant voilà l’évolution Pokémon du féminisme Lean In : la Girl Boss.
On est pas sorti de l’aubergine.
II/ La Girl Boss - la marketisation à paillettes de la hustle culture
Vous comprenez, y’avait un problème avec le féminisme Lean In.
Pas le problème fondamental que je viens de mentionner, non, un truc plus important : les Sheryl Sandberg, Christine Lagarde and co, c’est des oufs, mais elles sont encore trop… austères. Tout ça, ça crie monde corporate coinços avec moquette bleue, badge autour du cou, suite Office pas à jour et machine à café lyophilisé en panne.
Il fallait rendre ça plus aspirationnel. Plus pop.
Et c’est là qu’arrive la Girl Boss. La Girl Boss originelle, c’est Sophia Amuroso, self-made woman, fondatrice de Nasty Gal, qui a packagé son propre succès dans un best-seller (dont je vous laisse deviner le nom), une série Netflix (dont j’ai tiré l’image de cet article) et tout un marketing bien girly, bien glitter, dans lequel se sont engouffrées plein d’autres jeunes entrepreneuses de la nouvelle économie.
Girl Boss - PDG en bas noirs sexy comme autrefois les stars
La Girl Boss, c’est la continuation de Lean In par d’autres moyens. Ce sont exactement les mêmes données de base - responsabilisation individuelle, zéro remise en cause des structures, création de role models surhumains qui arrivent à jongler entre maternité, sorties entre copines et business sans une coulure de mascara - mais avec un packaging cute, et un vernis de douceur qui en prime ajoute une injonction de plus : celle d’être rassurante, douce, approchable, sympa.
Je disclaime encore, au cas où c’était pas clair : je critique une culture et des injonctions, pas des femmes. J’ai moult respect pour les meufs entrepreneuses, les femmes qui leadent, les femmes qui l’ouvrent, les femmes libérées (tu sais c’est pas si facile). Big up. Moi-même je sais, c’est pas de la tarte aux fraises.
MAIS VOILÀ.
Trois trucs me posent problème.
1/ C’est dangereux
Ok, la suite va pas être facile à expliquer avec les 50 shades de nuance que ça demande mais c’est parti. Le soufflé de la Girl Boss, un temps parfaitement bien gonflé bien moelleux, est retombé aussi vite qu’il était monté dans le four de la culture corporate des années 2010.
En cause : la chute de nombreuses, mais genre nombreuses Girl Boss auto-proclamées, qui se sont pour beaucoup (évidemment pas toutes) révélées des managers toxiques comme les autres. En cause, BIEN ÉVIDEMMENT PAS le fait que ce soit des femmes. Mais le fait que ces femmes, souvent tout ce qu’il y a de privilégiées dès le départ, ont utilisé ce packaging féministo-pop pour justifier et cacher des pratiques de management oppressives et exactement le même modèle d’exploitation de la précarité que le Girl Bossing était censé transformer. Et comme elles étaient en parallèle adulées comme des icônes féministes, les victimes ont eu d’autant plus de mal à se faire entendre.
Le problème (qu’est-ce que je disclaime purée) c’est évidemment pas le féminisme. Le problème c’est sa marketisation (ce mot semi-existe ok?), dans le but de perpétuer exactement les mêmes oppressions.
Et attention, on continue encore d’avancer sur un fil de nuance tendu comme string bonbon : ces meufs, dans leur chute, se sont fait 10x plus dégommer qu’un mec l’aurait été dans leur cas, parce que c’étaient des meufs, et qu’une meuf c’est doux normalement. Plus sur ce sujet dans cette newsletter de Gala Avanzi.
2/ C’est le business de la culpabilisation
Lean In, déjà, c’était un business, parce que ces meufs qui devaient s’affirmer plus, fallait bien les y former. Mais le Girlbossing, wololo on a passé un step.
Il suffit de jeter un oeil au hashtag pour comprendre le bail : de la citation inspirationnelle culpabilisante sous trois couches de crème pâtissière pastel, pour te faire te sentir moitié-empowered moitié-merdique, et te faire à terme acheter du webinar, de la formation, et du merch girly shiny :
Tu n'as juste pas des dizaines de personnes qui bossent pour toi, mais c'est un détail SENS-TOI COUPABLE ACHÈTE
(BREAKING : subitement inspirée, je viens d’ajouter le mug “Tu as autant d’heures dans une journée que Gabriel Attal” dans le shop)
(offre limitée à la durée de son mandat)
BREF REVENONS À NOS MOUTONS, le girlbossing est un bon business bien huilé qui, je trouve, ressemble vachement à du sexisme vendu comme du féminisme, vu qu’il culpabilise les meufs pour leur vendre des trucs. Enfin c’est mon avis.
3/ Ça ne change toujours rien purée
MAIS R.
Enfin si, ça a aidé à mettre sur le devant de la scène des femmes entrepreneuses, et c’est pas de refus dans le numérique. Et puis la Girl Boss a tout de même rendu l’ambition féminine visible, acceptable, désirable (même si c’est un type particulier, dominant, très normé, d’ambition qui ne correspond pas à tout le monde, cf l’article d’il y a deux semaines et la boucle est bouclée fiouh).
Mais encore une fois, on se parle ici d’un certain type de femmes, d’un certain type de statut social, prônant un certain type de rapport au travail : le Girlbossing, c’est la hustle culture avec des emojis cupcake. Un modèle qui dit que globalement on peut arriver à tout concilier, faut juste taffer super dur et continuer à sourire. Bref, n’absolument RIEN CHANGER à la structure de la société, ses injustices, ses inégalités, voire la perpétuer, assortie de nouvelles injonctions : tu PEUX avoir du succès, MAIS PAS au mépris de ta vie perso, MAIS tout en ne la laissant pas trop déborder sur le pro ET tout en étant cute et inspirante.
Et là, moi je suis soft, mais si vous voulez de la pure violence, je vous recommande la lecture de cet excellent article de Vicky Spratt, qui enterre le mythe la Girl Boss pour de bon sous trois couches de finesse assassine, voilà une petite quote pour vos papilles (et vos mamilles) (#inclusion) :
this word [GirlBoss] is a sexist Trojan horse. It appears to raise women up, to carve out space for us in a working world still too crowded with men and purports to offer us a bit of the boardroom we can call our own. But in reality it denies us agency, it diminishes us and denigrates our authority. A girl is a young woman – to suggest that a female worker or leader is a #girlboss directly infantilises her. If we weren’t so scared of women’s power we wouldn’t need to do this, to make it more palatable by rolling it in glitter and pinkwashing it.
On a pas entendu parler de #boyboss c’est marrant.
Et bon, vous avez rien demandé mais maintenant que y’a ma trogne en pull orange sur les internets et que je me suis promis d’arrêter de me cacher, je vais vous parler de oim (vous pouvez sauter ce paragraphe) (moi je le ferais) : perso, il m’a pas aidée le mythe de la Girl Boss. Pas autant que la sur-représentation des mecs dans la startup nation CERTES. Mais quand t’es une meuf qui doute, que tu crées ta boîte et qu’il t’est impossible de t’arrimer au modèle du startuper de 25 piges bien né à la confiance en lui en acier trempé, t’essayes de naviguer vers les eaux plus douces de la femme entrepreneure et… tu te heurtes à ça. Un autre modèle qui ne te ressemble pas. Le même modèle, au final, juste marketé différemment. Et là, qu’est-ce que tu te dis ? Tu te dis pas qu’une autre voie existe bien sûr, tu te dis juste que t’es probablement pas faite pour ça. Jusqu’à ce que tu réalises… ouais, qu’une autre voie existe. Voilà c’était l’instant perso, c’était super inconfortable dis donc.
BON, y’a un peu plus de rage je vous la laisse ?
Parce que les deux phases que je viens de brosser (dans le sens exactement inverse du poil), le Lean In et la Girl Boss, elles ne sont pas mortes, mais elles ont été fiévreusement nuancées et remises en question.
Alors que celle que je m’apprête à attaquer, elle est encore bien debout.
III/ Le “management féminin” - la panne d’essentialisation
Depuis ces deux étapes, il s’est passé un petit truc de rien du tout : #MeToo.
Une lame de fond, dont l’un des nombreux effets a été que soudain, le féminisme en entreprise est passé de tabou à cool à attendu.
C’est globalement plus un luxe : être “inclusif” est devenu nécessaire à la “marque-employeur”.
Je vous passe la grande vague d’annonces tonitruantes de nominations de femmes à des postes de management, ainsi que mon laïus sur le fait qu’il y en a quand même beaucoup dis donc qui sont à des postes de RH et de Diversité et Inclusion, cet article est BIEN ASSEZ LONG DÉJÀ.
Non, le sujet auquel j’aimerais m’attaquer c’est l’idée, prévalente aujourd’hui, qu’il existe un management féminin, que ce management est bon en soi, et que c’est la raison pour laquelle il faut plus de femmes à des positions de pouvoir.
Idée illustrée par exemple par le fait que CE CONCEPT A UNE PAGE WIKIPEDIA DÉDIÉE.
Ou par ces stats qu’on voit passer partout qui montrent que les startups dirigées par des femmes obtiennent moins d’investissements mais font plus de revenus (et grandissent 2x plus vite).
Ou le fait que les pays dirigés par des femmes ont mieux géré le Covid.
Ou cette citation de Christine Lagarde :
Si Lehman Brothers s'était appelée “Lehman Sisters”, la situation des banques en 2008 aurait été bien différente.
L’idée en bref : les femmes apporteraient dans le management et dans des rôles de pouvoir des qualités qui leur seraient propres (qu’elles soient intrinsèques ou apprises, ça dépend de l’émetteur) : plus d’empathie, d’écoute, de communication, un plus grand esprit d’équipe. Et comme ces qualités manquent cruellement dans notre société aujourd’hui, c’est bien de promouvoir des femmes.
Et sans dire que j’y suis 100% opposée, cette idée m’emmerde vachement. Je vais tenter d’expliquer pourquoi, avec des points d’interrogation, car je suis en pleine réflexion sur le sujet.
1/ Parce que c’est pas une raison ?
Vous trouvez pas ça ouf qu’on aie besoin d’arguments supplémentaires pour justifier de promouvoir des femmes ? Comme si c’était pas suffisant, je sais pas… qu’elles soient là, compétentes, et méritantes ?
Qu’on s’entende, je comprends le mouvement. Les femmes ont beau déjà être là/compétentes/méritantes, y’a tout un paquet de biais qui font qu’on les empêche de monter. Donc on va pas cracher sur n’importe quelle pichenette, même si celle-là revient à dire qu’il faut quand même qu’on leur trouve un mérite propre, un bénéfice business propre, pour justifier de leur donner une chance.
2/ Parce que c’est une nouvelle injonction essentialisante ?
Ce sur quoi le concept du “management féminin” est fondé, c’est l’idée que TOUTES les femmes sont intrinsèquement pareilles : douces, empathiques, collaboratives, et donc différentes des hommes qui eux sont courageux, directs, autoritaires (= en gros, c’est ça l’essentialisation, mettre des gens dans des cases du fait de critères comme leur genre).
Ce qui est un triple-problème. Parce que d’une, énorme scoop, “les femmes” ne sont pas une grosse entité monolithique et certaines, si si je vous assure, ne sont pas douces, certaines sont même toxiques (si on en croit les derniers Balance Ta Startup). De deux, ça défavorise aussi les hommes qui ne rentrent pas dans le moule opposé, celui du leader confiant-macho-viril-cowboy Marlboro du biz. De trois, c’est une injonction envers les deux, qui leur ordonne encore une fois de se conformer à un modèle pour être considéré·es.
3/ Parce que c’est probablement pas si vrai ?
Et voilà qu’on est reparti dans un exercice d’équilibriste.
Le premier truc que je voudrais dire, c’est que toutes ces stats sur le fait que les meufs en position de pouvoir/management performent mieux, elles ne prennent pas en compte un truc. Ce truc est que c’est tellement dur d’y accéder, au pouvoir/à des rôles de management, quand on est une femme, qu’il faut souvent non seulement être dix fois meilleure que les autres, et en prime bosser dix fois plus. Donc oui, la petite portion de femmes qui dirige des pays, ou lève des fonds, évidemment qu’elles ont plus de chances d’être des machines de guerre ultra-compétentes. Ça ne dit pas (même si bien sûr j’y crois au fond de mon coeur) que toutes les femmes sont meilleures.
Le second, qui a été une révélation pour moi, et est à l’origine de toute cette troisième partie, c’est le fait que… ben c’est pas franchement prouvé, qu’il y a une différence de management entre les hommes et les femmes. Dans son mémoire de Master d’Etudes sur le Genre, “Managers dans le secteur numérique - Perceptions et expériences vécues de la jeune génération de managers sous l’angle du genre”, Zoélie Adam-Maurizio a mené des interviews en longueur de 12 jeunes managers dans le numérique, 6 hommes et 6 femmes sur la perception de leur propre style management, et en comparant les réponses elle conclut que… ben y’a rien qui semble vraiment différencier les styles de management en fonction du genre.
EN REVANCHE, elle remarque un truc :
C’est finalement sous un autre angle que celui de [l’] influence [du genre] sur [le] type de management [des femmes], que le genre apparaît. Elles soulignent, en effet, les attentes ou les perceptions de leurs équipes mais aussi les stratégies qu’elles peuvent appliquer, en anticipant des critiques alors mêmes qu’elles ne leur ont pas été nécessairement faites directement. Dans ces milieux extrêmement masculins, elles sont amenées à s’interroger sur leur manière d’être, puisqu’elles ne sont pas la norme
Bref, les femmes manager n’ont pas l’impression que leur management est particulièrement féminin MAIS elles développent des stratégies, des attitudes particulières en réaction et anticipation des remarques qu’on pourrait leur faire (et qu’on leur fait : d’après EY '“près d’une collaboratrice sur deux estime avoir déjà entendu des propos disqualifiants à l’égard des aptitudes managériales des femmes (pour manager une équipe (44%) ou diriger un service ou une entreprise (43%)”). Cf. ce verbatim d’un entretien avec une manager de 34 ans :
Je trouve... en tout cas pour moi c’est compliqué parfois de savoir comment on peut se positionner. Est ce qu’on doit être très ferme, est ce qu’on doit être plus humain... Est-ce que les autres ne nous verront pas d’une manière ou en tout cas ne nous considèreront pas comme faible ou comme.... Je sais pas, ouais, comme étant laxiste, si on doit être un peu trop humain. Quelle est la frontière entre être stricte et être amie avec son équipe.
Et paf, la boucle est bouclée : on en revient à tout ce paquet d’injonctions contradictoires entre lesquelles les femmes sont prises en étau. Celles d’un modèle de management autoritaire et directif, bref “masculin”, qui est la norme, celle d’un management empathique, bref “féminin” qui est un attendu… mais n’est pas la norme.
Tout ça pour dire
Que ça commence à me fatiguer sévère, ces solutions-miracle, ces constats trop beaux pour être vrais, qui ne sont que des pansements rose bonbon sur une pustule de véroleux. Non seulement ça ne change rien, ou trop peu - ça se saurait - mais ça contribue à mettre encore plus de responsabilité sur les épaules des concernées. Et ça continue, encore et toujours, à définir les femmes par rapport aux hommes, et pas comme… juste des gens.
Et qu’on vienne pas en réponse me balancer un truc fataliste genre “non mais ce qui compte, c’est le mérite. Il faut simplement valoriser et promouvoir les meilleur·es, quel que soit leur genre” parce que je suis déjà bien assez à bout de nerfs en rédigeant cet article. Car oui, no shit sherlock. Qui s’est ouvertement dit un jour “je vais plutôt favoriser ce mec face à cette meuf car j’adooore le sexisme” ? Ça se passe à un million de niveaux, ça prend des millions de formes, c’est nourri par des millions de biais souvent inconscients.
Mais vous savez ce qui me bute le plus ? C’est que globalement, les solutions, on les connaît. Elles sont juste complexes (comme le problème), lentes et coûteuses à mettre en place, mais on les connaît. En voilà trois, comme ça, de tête :
mieux former les enseignant·es aux biais de genre : alors loin de moi l’idée de les accuser de quoi que ce soit de néfaste, les profs en ont déjà assez sur le dos. Mais voilà, on a tous·tes des biais insconscients, et il se passe quelque chose à l’école. Les petites filles performent mieux, même en maths, à l’entrée en primaire, et puis paf, ça s’inverse, et il semblerait que les biais des profs, évidemment pas volontaires pour la plupart, y contribuent. C’est pas la solution à tout, mais c’est un petit pas pour la femme, un grand pas pour une plus grande égalité des chances.
évoluer collectivement sur la définition de l’ambition et de la réussite : je vous renvoie à mon article sur le sujet, mais voilà, je pense fermement qu’en maintenant un modèle unique de réussite et d’ambition, qui implique de se donner corps et âme au travail, on en exclut beaucoup de femmes mais aussi en général plus en plus de gens aujourd’hui qui veulent une autre relation au travail. Et comme ça ne s’accompagne pas d’une revalorisation du care, qui est pourtant, et de plus en plus, vital à la société, on se retrouve avec un no woman’s land entre la Girl Boss et la mère au foyer (encore une fois : pas de jugement, le principe du féminisme c’est qu’on devrait pouvoir avoir le choix et qu’on nous foute la paix), alors que plein de modèles sont possibles, en fait.
le p*** de congé paternité bordel à chiottes : c’est le nerf de la guerre, et c’est vraiment pas un scoop. C’est autour du congé mat que la plupart des biais pros et perso se jouent. C’est autour du congé mat que la discrimination au travail s’amplifie (de l’embauche, où on commence à te demander “quels sont tes projets de vie” quand t’approches des trente piges, à la promotion, qu’on va pas te filer vu que bon, tu vas pas être là, jusqu’à carrément des placardisations au retour). C’est autour du congé mat que l’inégalité dans les foyers se creuse, puisque les apprentissages vitaux qui s’y font, s’ils ne sont que l’apanage des femmes, mènent quand même assez logiquement à ce que la charge mentale soit de leur côté ensuite (je vous renvoie vers Charge Mentale Pédiatrie, le compte Twitter le plus prodigieusement horripilant de la Création). Tenez, prenez l’Islande qui a créé un congé parental égalitaire : bim, numéro 1 du Global Gender Gap Report du Forum Economique Mondial. Vous en revoulez ? Selon une étude en Suède, chaque mois de congé paternité augmente le revenu de la mère de 6,7 pour cent quatre ans plus tard. Répartir le congé parental équitablement entre les deux parents, c’est pas la panacée mais pas loin quand même.
J’arrête là car il y a de grandes chances que, si vous me lisez encore, vous avez commencé hier et vous êtes dans un état de déshydratation avancée. Bref, j’aimerais grave qu’on arrête les grandes annonces et les grandes solutions foireuses, et qu’on s’attaque aux vrais sujets.
Vous savez ce que je crains le plus, dans cette histoire ? C’est qu’on se prenne un backlash. Qu’un jour, suite à l’échec évident de toutes les conneries pré-citées, aussi inutiles soient-elles, une idée émerge chez certains mascus et Thaïs machin, qui serait de cet acabit : on a donné toutes les clés aux meufs pour réussir, elles s’en sont pas emparées, c’est bien la preuve qu’elles sont pas faites pour ça. Ça m’énerve d’avance, et j’ai bien assez de choses réelles sur lesquelles rager, j’ai pas besoin de ça.
CDLT
Sev