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Par CDLT
28 sept. · 4 mn à lire
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Mon mec est sur un pitch

Des AO et des débats

Un pitchUn pitch

Publié le 22/04/2021

Il y a une semaine, Nicolas a cassé les internets de la com avec ce thread expliquant pourquoi son agence s'est retirée d'un Incroyable Pitch PENDANT LE BRIEF.

Lisez-le si ce n'est déjà fait, car il dit tout de l'impact des appels d'offres sur les agences - surtout les petites - et des process de pitch absurdes qui détruisent de la valeur et ne profitent à personne au final.

Et Nico le raconte en plus - franchement j'aurais pas réussi - sans aucune animosité, et sans même attaquer le process de pitch en lui-même.

Alors maintenant qu'une semaine s'est écoulée et que j'ai calmé ma rage, j'avais envie de raconter un autre aspect du process de pitch : l'aspect humain,. Parce que beaucoup d'annonceurs, quand ils font pitcher "des agences", ont l'impression de mettre en compétition des sortes d'entités administratives, ou des labels créatifs un peu impersonnels, alors que non, hein, pas du tout.

J'ai quitté le monde des agences il y a un an et demie pour le plus grand bien de mon couple : deux Planneurs Stratégiques ensemble, c'était une sorte de doux enfer où tu ne peux pas ne pas parler de ton taf puisque l'autre te file des coups de main incroyables et te fait gagner un temps fou, mais où au final, ben tu parles beaucoup de ton taf.

Bref, mon mec est resté en agence, et ça se passe méga-bien, c'est super, il est constamment surchargé de taf mais il gère.

Il y a deux semaines, il m'a annoncé qu'il montait sur un pitch. En plus de ses sujets où il est à 120% de base en semaine calme. Le sous-texte, tu le comprends quand t'es "conjoint.e de publicitaire" : oublie-moi pendant un mois et demie.

Oui parce que INFO NUMÉRO 1 / les gens qui prennent un pitch ont d'autres sujets en cours qui ne s'arrêtent pas tranquillou en attendant qu'ils émergent.

Depuis, mon mec attaque le taf à 7h pour tenir le rythme, a bossé la moitié du week-end dernier, est en train, pendant que j'écris ceci une biè... une tisane à la main, d'attaquer une nocturne des familles (en plus d'habitude la charrette est rare au UK), et a MÊME ANNULÉ notre premier restaurant depuis le 3ème confinement.

Il y pense sans arrêt entre deux autres trucs, il y pense le matin en se rasant, le soir en allant se coucher : tous les interstices que lui laisse son boulot habituel sont remplis du pitch.

Et c'est pourtant un pitch qui se passe bien. Bien mené, avec un marieur qui a bien géré le choix des agences, des clients super intelligents qui ont fait un bon brief, un sujet méga-intéressant.

Mais voilà, quand on fait pitcher une agence, on lui demande d'abattre en quelques semaines le travail de plusieurs mois, en échange généralement de rien. INFO NUMÉRO 2/ Le résultat est donc mécaniquement que le seul temps qu'elles peuvent vraiment dégager, c'est soit du temps pris aux clients actuels, soit du temps perso des gens, soit les deux.

C'est mathématique. Le travail gratuit coûte toujours à quelqu'un, et généralement, cela coûte aux talents d'agence, à leurs proches, à leur santé mentale.

Les agences qui, pour des raisons diverses (et bien souvent parce qu'elles n'ont pas le choix), enchaînent les pitchs, non seulement risquent de ne pas pouvoir donner à leurs vrais clients 100% de leur énergie, mais essorent aussi, progressivement, leurs gens.

Alors attention, je ne suis pas en train de remettre en question le process de pitch (enfin si, si vous me laissez faire, mais ce n'est pas le sujet), car c'est aussi un process que j'adore, perso. L'adrénaline, la liberté, l'envie de tout réinventer, de trouver ensemble la meilleure solution, l'excitation quand on a l'impression d'être en train d'y arriver, le kif d'imaginer l'impact en interne d'un pitch gagné (le bon taf, les recrutements, les augments), c'est génial.

Parce que INFO NUMÉRO 3/ Quand on monte sur un pitch, on y croit. De tout son coeur. Parfois on sait qu'il est pipé ou mal barré dès le début (oh un autre vaste sujet), mais n'empêche, au fond de soi, on y croit. On se dit qu'il y a peut-être une micro-chance que ça le fasse même quand tous les indicateurs sont au rouge. On se dit qu'on a tellement à gagner qu'on évite de penser à ce qu'on a à perdre.Alors si on n'a pas encore pu trouver mieux que le pitch pour choisir son partenaire créatif, j'aimerais juste, un peu, parfois, au-delà même de la réflexion sur le beau process et les belles chartes de bonne conduite, que les annonceurs qui lancent un appel d'offres le fassent en pensant à ça. Aux restaus annulés, aux charrettes, aux conjoints, au stress, aux espoirs, aux projections, ceux des vrais gens, qui vont se lancer à corps perdu dans cette histoire de quelques semaines. Soyez justes, soyez honnêtes, soyez sûrs que les agences que vous faites pitcher ont une chance, méritez le temps et l'énergie des gens : ils vous le rendront au centuple.

Bisous,

Sev