C'est quoi les bails avec Bayrou ?


🎙️ Point podcast : grave envie de consommer le contenu ci-dessous mais plutôt à l’aide de vos oreilles, et avec des effets sonores “originaux” comme des bruits de scroll quand on scrolle, et des sound bites de François Bayrou qui dit “Pau”?
Vous en trouverez la version audio sur Spotify, Apple Podcasts et Deezer.
✨ J’espère que vous avez passé un bel été ! ✨
Je déteste cette phrase. Elle a quelque chose de crépusculaire. Elle sonne la fin de la récré. J’ai beau avoir arrêté l’école y’a… bref, elle convoque un paquet de vieux trucs anxiogènes, qui vont de “j’espère que j’aurai pas cours le samedi matin” aux cauchemars de pré-rentrée (moi dans mes cauchemars, j’arrivais pas à poil, j’arrivais une semaine trop tard), en passant par ce prof qui veut un cahier 21×29,7 alors que l’autre veut un 24×32 et qu’encore un autre veut des 24×32 MAIS À PETITS CARREAUX. Le seul truc qui sauve cette phrase, c’est qu’elle consacre une des beautés du modèle français, qui est que l’été est un bloc compact où il est communément admis que rien ne se passe. Ça j’adore. Dans 20-30 ans y’en aura plus.
Moi cet été, j’ai fait comme Bayrou (et c’est le SEUL moment de cet article où j’évoquerai une forme de proximité avec le bonhomme, profitez-en), j’ai bossé. J’avais plein de trucs à écrire (promis bientôt j’arrête de teaser et je vous raconte), et puis j’ai fait des petits carrousels pour démonter les propositions pétées du gouvernement liées au travail dans le budget 2026. Par exemple :
Mais contrairement à Bayrou (malheureusement pour lui et pour nous) j’ai quand même réussi à laisser à mon cerveau de longs moments de jachère. Et dans ces longs moments de jachère, une série de questions absolument random sont venues flotter à l’orée de ma conscience.
Questions absolument random venues flotter à l’orée de ma conscience
Est-ce qu’au fond, le premier moteur d’une décroissance heureuse, ça ne serait pas le retour de l’entraide et du lien social (ça c’est rapport au WhatsApp de ma copro et à Nancy Fraser) ? Est-ce qu’il est possible de penser loin quand on ne voit jamais l’horizon (ça c’était évidemment face à la mer) ? Est-ce que toute forme de réflexion sur l’habitat idéal est nécessairement paternaliste (ça c’est en visitant la Cité Radieuse) ?
Et puis dans ma jachère méditative, devinez qui a pointé le bout de son nez poilu ?
Bayrou, pardi.
J’étais là, pépouze, à kiffer la vie, et le mec a persisté à popper dans mes notifications avec sa face de fion, m’incitant à me demander :
Questions pas du tout random venues flotter à l’orée de ma conscience
Pourquoi Bayrou pense fermement qu’on doit travailler plus d’heures ? Est-ce que c’est si prouvé que ça, que travailler plus augmente la production ? Et pourquoi cette notion est si mal accueillie chez nous ?
Impossible de jachériser tranquille bordel. Je suis donc rentrée avec la ferme intention de faire un article turbo-véner ayant pour but d’apporter mon petit pavé à la grande barricade du 10 septembre. J’ai même regardé son vlog d’août (la vue, c’est moi). Puis il a décidé de quiet quitter. Confirmant mon dernier point : les mesures de ce gougnafier sont tellement impopulaires qu’il a dû jeter l’éponge.
Mais je vais le faire quand même cet article.
Parce que cette idée pétée qu’il nous faut travailler plus, elle pré-date Francesco, et y’a bien des chances qu’on continue à nous la servir dans les temps à venir.
Je préviens, ça va être long et technique MAIS on va insulter Bayrou tout du long donc franchement, ça vaut le coup.
“Travailler plus”, vous me direz, c’est pas nouveau. L’autre mafieux à talonnettes nous l’a déjà sortie en 2007. MAIS (et purée j’aurais jamais cru qu’un jour j’écrirais une phrase pas intégralement négative en rapport à Sarkozy), la contrepartie était claire, puisque l’idée c’était qu’on gagne plus en échange.
Là, la promesse c’est :
(oui je reviens de vacances avec la connerie)
Forcément c’est un peu moins enthousiasmant comme projet.
Surtout que depuis 2007, il s’est passé un truc. Un truc qui est que le rapport au travail a changé. Et que selon cette étude de 2023 de L’Institut Montaigne, si 31 % des gens sont encore prêts à travailler plus pour gagner plus (ce qui est la citation qu’a sortie l’Institut pour son Communiqué de Presse, évidemment), 46 % ont l’intention ferme de travailler tout pareil pour gagner tout pareil. MAIS, selon cette étude de l’IFOP en 2023 que j’avais citée déjà mais qui est ressortie récemment, 61 % des Français accepteraient moins d’argent contre plus de temps, et c’est en augmentation.
Donc voilà, au doigt mouillé, on peut se dire que les Français se divisent à peu près entre :
les gens qui gagnent pas assez avec leur travail (1 M de travailleurs pauvres en France, c’est bien de le rappeler) et voudraient gagner plus, par exemple en travaillant plus (on estime que 1/4 des temps partiels sont subis, et évidemment touchent principalement les femmes, c’est un sujet sur lequel l’Inspection Générale des Affaires Sociales a fait des recommandations) (le gouvernement a vaguement mentionné le sujet pour le budget, c’est con vu que c’est assez important quand même) (on y reviendra)
les gens qui dans l’absolu sont opé pour travailler plus dans le but de se faire plus de moula
les gens qui gagnent ce qu’il leur faut et décident que ce qui a le plus de valeur pour elleux à partir de maintenant, c’est de récupérer du temps
Vu comme ça, ça dessine un paysage assez clair d’à peu près 0 % de gens qui sont opé pour travailler plus ET gagner pareil (voire moins vu que ça coûte de l’argent de bosser : en transports, en garde d’enfants etc.), expliquant l’immense popularité des mesures de Bayrou (analyse SB).
Ce qui amène à se demander : pourquoi (outre l’explication “connerie abyssale”) POURQUOI Bayrou, ce centriste sire, persiste à essayer de nous faire gober que travailler plus pour gagner pareil c’est non seulement nécessaire mais en plus une bonne idée ?
Là, il nous faut dézoomer je préviens ça va être un peu vomitif.
Prenons notre Google Maps et scrollons un coup pour prendre du recul.
François le Français, il n’a eu de cesse de répéter la même chose : gnagnagna on travaille moins que nos voisins européens, blabla. Ça, moi je vous renvoie à mes petits carrousels et à cet article, mais en gros je vous résume : il est couramment admis que c’est globalement faux, ça dépend de quels chiffres on choisit de regarder, et enfin c’est moins une question de nombre d’heures travaillées que de chômage des seniors et des jeunes. Puis c’est quoi le rapport, et en quoi la comparaison serait raison une preuve qu’il faudrait travailler plus ?
Aha. On y voit plus clair. Y’a pas que nous ! Y’a plein de pays européens dans le même mouvement. Bayrou en fait c’est un gros suiveur. À l’échelle européenne, plein de gouvernements y vont de leur petite nécessité d’augmenter le temps de travail, avec des points de départ différents (l’Allemagne c’est savoureux : c’est parce qu’il y a un max de temps partiels, surtout chez les meufs vu que globalement la prise en charge de la petite enfance c’est nichts, et que les syndicats récemment ont plutôt négocié des baisses de temps de travail plutôt que des augments) (la Grèce ils travaillent déjà plus que tout le monde et visiblement ça marche pas mais YOLO, on n’a qu’à en rajouter une couche et passer la journée de taf de 11h à 13h, permettre le cumul d’emplois et étendre la semaine de travail à 6j) (en Suède on durcit les conditions du chômage).
Mais pourquoi ?
Ah bah voilà ! Suffisait de le dire. L’Europe décroche économiquement par rapport aux États-Unis (PIB/habitant : 78 % du niveau US en 2000, 70,5 % en 2022). Et moi j’y connais R, à tout ça, mais je me dis que bon, ça fait un moment qu’on décroche, donc si on s’excite soudainement, c’est probablement que c’est pas tip top d’avoir une économie européenne à la traîne maintenant que les US sont passés de “in a relationship” à “it’s complicated” avec l’Europe.
Et donc les pays européens se disent, attention suivez bien la logique c’est complexe :
hé, les US, ils produisent plus que nous
ET ils travaillent plus que nous
donc pour produire comme eux, ben faut qu’on travaille autant qu’eux !
Malinx le lynx.
Sauf que vous l’avez vue, la roubi dans la rillette de ce raisonnement hein ? C’est pas faute de le répéter à tous les conspis : CORRÉLATION N’EST PAS CAUSALITÉ.
Qu’est-ce qui nous dit que c’est le fait qu’ils bossent plus qui les rend plus productifs ? À ce taro, on pourrait faire plein d’autres corrélations : ils portent plus de chapeaux de cow-boy, ils possèdent plus d’armes, ils boivent du lait à la bouteille, ils refusent le système métrique ALLEZ IL EST TEMPS DE SE METTRE AU RODÉO ET À L’OZEMPIC, POUR LA RÉPUBLIQUE, POUR LA FRANCE !
Je sais que j’ai l’air con avec mon raisonnement. Mais laissez-moi vous présenter les conclusions de gens moins cons que moi.
Laissez-moi décocher ce petit brief de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques sorti en mai 2024, mais qui s’offre un petit regain de popularité depuis cet été (c’est ça, le tube de l’été 2025 que tout le monde disait qu’il y en avait pas) (rien à voir, excellente analyse sur le sujet de pourquoi y’a pas eu de grosse trend cet été).
Je vous résume ce brief comme si vous aviez 4 ans étiez aussi nul·les en économie que moi : oui on décroche par rapport aux États-Unis. C’est pas nouveau, ça date de bien avant le Covid. Et oui on travaille moins d’heures qu’eux, comme le prouvent tous ces memes US qui ressortent chaque été sur comment l’Europe est injoignable pendant 2 mois (c’est moi qui illustre, le rapport il donne des chiffres).
Aspirationnel
MAIS. MAIS. Attention. Selon l’OFCE, le facteur-clé, c’est la moindre croissance de la productivité horaire dans la zone euro. En d’autres termes, on produit moins par heure travaillée. Et pour expliquer cette moindre productivité horaire, l’OFCE explique que ce qui joue un rôle majeur c’est les pauses clopes le capital matériel et immatériel. Tout ce qui nous sert à produire, en dehors du travail humain (matériel : usines, machines, véhicules, et immatériel : logiciels, données, brevets, formation, R&D, management). En gros, ce qui nous permet de travailler mieux sans travailler plus.
Et ce qui est le plus notoire, dans les différences entre les US et l’Europe, c’est le capital TIC (qui n’est pas la moitié d’un bonbon apportant beaucoup de fraîcheur pour seulement 2 calories) (ni une moitié d’un duo d’écureuils) (ni un mouvement involontaire répétitif) (non, c’est) : les Technologies de l’Information et de la Communication, et plus largement le capital immatériel. En 2019, le stock de capital TIC par emploi était 5x plus élevé aux US que dans la zone Euro, et le capital immatériel était 3x plus élevé aux US, avec un taux de croissance de 62 % contre 41 % pour nous.
En résumé du résumé : la zone Euro a autant investi que les US mais différemment. Contrairement à nous, les US ont foutu max de thune sur la formation, la technologie et la R&D, ce qui booste la capacité de chaque heure travaillée à créer plus de valeur. Des gens bien formés, avec des outils et logiciels de bâtard vont a priori être plus efficaces que des gens qui prennent des notes papier et tournent sur une version d’Excel qui n’est plus mise à jour depuis 2002. En France, on est les moins pires mais on est quand même derrière (cocoricouille !).
ET DONC. Conclusion du résumé du résumé. Ce que dit ce rapport, c’est que pour produire davantage, plutôt que de travailler plus, il faut travailler mieux, et investir massivement dans du capital TIC et immatériel qui va nous y aider.
ET DONC ET DONC. Conclusion de la conclusion du résumé du résumé. Pourquoi, alors que c’est probablement pas la meilleure solution, l’autre Culbuto sur pattes et ses camarades se précipitent sur le fait de nous faire bosser plus d’heures ? Plusieurs hypothèses (qui sont de moi, je ne recommande pas de les traiter sérieusement) :
c’est plus court terme : vu que c’est la mierda et qu’à force de laisser les comptes de l’État partir en sucette (à l’anis) (Morissette), tout ce bousin est devenu un peu urgent, et faire bosser les gens plus, ça marche plus vite que des investissements qui prendront du temps à être rentabilisés
c’est facile : “travailler plus” ça tient sur un post-it alors que “il faut stimuler l’investissement dans le capital TIC, rattraper la vague technologique et réduire les inégalités d’accès au travail” c’est complexe
ça fait diversion : et ça permet de mettre le problème sur les gens qui sont trop flemmards plutôt que de questionner les choix budgétaires des gouvernements passés, les niches fiscales, les inégalités et les aides aux entreprises
ça nourrit les bonnes vieilles rengaines bien Vieille France de l’effort, la sueur et le sacrifice comme préalables au redressement national, un logiciel politique obsolète qui mériterait bien une bonne mise à jour à grands coups d’investissement TIC tiens
ça fait plaisir aux bonnes personnes, ceux que nos amigos visent à satisfaire, c’est-à-dire les grands patrons, les retraités qui bossent pas mais qui votent et racontent à qui veut l’entendre que “nous on trimait sans broncher, les jeunes veulent plus rien foutre” (je suis pas là pour verser dans le boomer-bashing, mais voici quelques chiffres assez éclairants sur la différence de niveau de vie Boomer/Gen Z), les agences de notation, la BCE et (world) compagnie
Voilà.
Je vais faire une deuxième partie plus courte hein.
Vous savez quoi ? J’ai déjà pas mal défriché avec mes petits carrousels, donc je ne vais pas mettre ça en forme, je vais simplement vous lister tout ce qui ne va pas dans cette idée de la nécessité de travailler plus, de façon extrêmement productive grâce à la puissance technologique du bullet point :
Plus de travail ≠ plus de consommation : ben oui, le temps qu’on passe à bosser on le passe pas à faire tourner l’économie. Prenons le lundi de Pâques qu’il voulait faire sauter, l’autre Béni-oui-oui du Béarn, qui est “l'une des journées où il y a le plus grand taux de consommation dans notre pays", selon Cyril Chabanier, président de la CFTC. Pour lui et mon nouveau meilleur pote Michel Picon (président de l’Union des Entreprises de Proximité, U2P pour les intimes) (moi j’suis devenue super intime) (j’adore le “2” pour dire “de”, on fait plus ça et c’est dommage) (ça me rappelle l’époque magique des “2000” à la fin des noms de marque pour faire “futur”), faire bosser les gens sur les jours fériés, à court terme c’est potentiellement 100 M€ de moins pour l’hôtellerie-restauration, et au global moins de TVA qui rentre dans les caisses.
D’autant que ça ne règle pas la question de la demande : selon mon poto Michel Picon (que je kiffe au cas où c’était pas clair) “Dans l’industrie, si vous fabriquez par exemple des verres ou des casseroles, avec deux jours de travail en plus, vous avez deux jours de production en plus. Mais rien ne dit que vous la vendrez”, et de rappeler que “pour la majorité des entreprises de notre pays, qui sont des entreprises de service, il faut des clients. Vous pouvez ouvrir votre salon de coiffeur le lundi de Pâques, mais si personne ne vient, vous n'avez pas de chiffres d'affaires en plus”. Hé oui, c’est pas bête en fait, qu’est-ce qui dit qu’empiler des heures va permettre de vendre plus ? Et si on n’augmente pas les gens pour le travail supplémentaire, ben comment vous voulez que les gens aient les moyens d’acheter plus hein ?
Et puis c’est injuste : moi y’a toujours un truc qui m’a tendue quand j’évoluais dans le monde glorieux des jeunes cadres des professions intellectuelles en Sandro/APC. C’était la rengaine “ben moi j’suis pas aux 35h j’vois pas pourquoi les autres pourraient pas bosser plus ça serait un peu juste”. Ben j’sais pas Jean-Kévin, peut-être que ton travail dans un open space climatisé est un peu moins physiquement pénible que celui d’une femme de ménage ou d’un·e préparateur·ice de commandes dans la grande distrib ? Si on squizze 2j fériés à un ouvrier, ça veut dire 4,5 mois de plus à se casser le dos sur une chaîne de production à l’échelle d’une carrière. Peut-être que c’est pas méga fair de les faire bosser plus, en sachant qu’en prime iels profiteront de 2 ans de retraite en moins que toi rapport à ce qu’ils clamseront plus tôt. ÇA TE SEMBLE UN PEU JUSTE ÇA JEAN-KÉVIN ?
Et puis ça marche pas : Kilucru ? Bosser plus ne veut pas dire bosser mieux ! C’est fou ça. Ces gens-là au CEPR (Centre for Economic Policy Research) ont combiné les bases de données de 21 pays entre 1891 et 2019 pour arriver à une conclusion simple : historiquement, plus d’heures travaillées = productivité horaire plus faible, alors qu’une réduction de 10 % des heures travaillées augmente la productivité horaire de 4 à 6 %. Ce qui dessine en gros l’idée qu’il vaudrait mieux faire bosser plus de gens, moins, pour être plus productifs. Bon, ils suspectent que dans le futur, vu comment l’économie va se comporter, on risque de pas réussir à compenser par la productivité. Mais on y reviendra.
Et puis merde, sérieusement ? Le travail est fondé sur un principe simple, qu’on appelle la réciprocité. Tout travail mérite salaire. Je suis sincèrement choquée de me retrouver à défendre le fait que… ben ça serait bien que ça continue ? Déjà, je suis tendue face aux idées à la con comme la monétisation des jours de congés, mais sérieusement la suppression des jours fériés, ça me semble hors-compétition. Comme l’a résumé Sophie Binet (Secrétaire Générale de la CGT), on est sur une triple peine : bosser plus, gagner moins, perdre nos droits.
Bon, je m’arrête là, des arguments contre l’augmentation du temps de travail, y’en a plein, et y’en a eu un paquet qui sont sortis cet été. J’aimerais re-dézoomer un coup mais cette fois-ci pas géographiquement.
Je ne vous cache pas que tout ce débat — son existence je veux dire — m’énerve au plus haut point, donc je vais dépasser ma première impulsion qui serait une bordée d’injures, et tenter de formaliser tout ça de façon intelligible.
En gros, l’argumentation de notre ami démocrate-crétin, c’est : 1/ attention, la dette c’est vraiment très grave là 2/ il va falloir contribuer y’a pas le choice 3/ et il est essentiel et non négociable de travailler plus d’heures 4/ au boulot les flemmasses.
On a déjà bien questionné la “nécessité” de travailler plus d’heures (et on a vu que nécessité ne fait Palois), donc on va s’intéresser au reste (dans le désordre) (classer les parties dans l’ordre numérique est une construction bourgeoise).
…ben y’a pas de débat. La quasi-totalité des Français selon l’IFOP considère depuis longtemps que oui, c’est la hess, et beaucoup sont même tendax sur le risque de faillite de l’État. Les mesures de Bayrou (de secours) et leur urgence ne sont même pas contestées en bloc. Donc bref, on est d’accord. Y’a zéro débat, même si l’autre empaffé persiste à faire comme si y’en avait. Et donc, à force de dramatiser une situation déjà assez dramatique, tout ce qu’il a réussi à faire l’autre jean-fesse c’est… de forcer le FMI à rappeler qu’on est encore loin d’une situation de tutelle. C’est ça le problème quand on crie au loup. Donc oui, on est bien conscient·es qu’il va falloir faire quelque chose, c’est le “quelque chose” en question qui pose problème, on y reviendra.
PARCE QUE je suis bien obligée, même si ça me saoule au plus haut point, de faire un détour par une partie essentielle de son argumentation : les gens veulent pas bosser alors que les entreprises veulent recruter, et ça force des entreprises à fermer.
Il a vraiment dit (peu ou prou, je vais pas me RE-taper son vlog pour extraire la citation exacte mais c’est quelque part ici) : y’a 1 jeune sur 5 au chômage et de l’autre côté, des boîtes ferment parce qu’elles ne trouvent pas de gens pour travailler, c’est un “scandale” (ça je me souviens, il a dit le mot). CQFD.
C’est quand même une accusation hyper violente. Donc moi j’ai creusé. Alors effectivement, il y a une tension sur l’emploi, qui concerne 68 % des métiers. Y’a environ 500k emplois vacants (2,5 % des emplois selon la DARES) et 1 entreprise sur 2 juge que ses recrutements à venir seront difficiles. MAIS. Ce que nous dit pas l’autre pignouf, c’est que ça va vers le mieux selon France Travail : il y a 10 points de moins de tendance en 2025 sur les recrutements difficiles, avec une décrue des tensions dans certains secteurs (immobilier, services techniques et administratifs, construction, commerce, hébergement-restauration). Notons aussi que les entreprises embauchent moins (au cas où vous auriez pas remarqué).
Et attendez : France Travail a fait un petit classement des métiers où les recrutements sont compliqués, vous voulez jouer à deviner ? C’est trop facile je vous donne la réponse : en volume, on a les serveur·ses et les aides de cuisine, suivi·es, accrochez-vous, par les agriculteur·ices et viticulteur·ices pour les jobs saisonniers, les agent·es d’entretien de locaux, les pros de l’animation socioculturelle, les aides à domicile, aides-soignant·es et cuisinier·ères.
Donc le gros projet de Bayroucarnage c’est d’envoyer les jeunes se faire exploiter et sous-payer pour aller sauver des secteurs comme la restauration qui… qui… Et ça sera mon dernier point de data (purée je suis allée me taper un mémo de la DGE, tout ce temps perdu pour démonter cet argument pété ça me désespère) : des secteurs comme la restauration où les entreprises sont en défaillance pour la simple et bonne raison qu’elles ont été maintenues sous respiration artificielle depuis le Covid dont elles se tapent aujourd’hui le contrecoup, et qu’elles se prennent de plein fouet la hausse des coûts de l’énergie et des taux d’intérêt.
Mais c’est plus simple de passer l’été à gueuler sur les jeunes qui veulent pas bosser et sur les cons de touristes qui veulent pas mettre 25 balles dans une bavette-frites molles tout juste décongelée en bord de parking.
Bon, je vais me calmer et en revenir au dernier terme du débat.
Je vous apprends rien mais ça va mieux en le disant : si les gens sont d’accord avec le diagnostic sur la dette et la nécessité d’un effort, et tout à fait conscient·es que la pseudo-démission de Bayrou va foutre le bordel, ce qui ne passe pas, ce sont les solutions proposées.
Dans la pré-citée étude IFOP, les gens sont pas intégralement teuteus sur les causes de la dette : 68 % citent les mauvais choix politiques des précédents gouvernements, 47 % la mauvaise gestion budgétaire des administrations et collectivités, 34 % les crises économiques, 30 % la faiblesse de la croissance, 25 % le manque de rentrées fiscales dues à certaines réformes (coucou l’ISF) et 22% le haut niveau de protections sociales. Forcément, ça donne l’impression que c’est pas juste-juste que les gens qui bossent, et qui se sont déjà fait squizzer un bout de retraite, soient les premiers·ères à payer l’austérité plein Pau.
Quand je dis que les gens sont pas teuteus, c’est que si on regarde les analyses économiques, eh bien… elles font peu ou prou les mêmes constats.
(je vous fais un encadré si vous voulez me croire sur parole et sauter à la suite)
Par exemple, dans les préconisations de l’OCDE pour la réduction de la dette, on trouve des bails pas roux de type : “réduire les dépenses fiscales, en particulier celles qui ne bénéficient pas aux ménages modestes et les mesures qui favorisent la constitution d’une épargne excessive par les ménages”, rationaliser les dépenses de santé, améliorer l’efficacité, baisser les impôts sur le travail, rationaliser les dépenses des collectivités, renforcer l’accompagnement des seniors, des jeunes et des mères à l’emploi, investir dans l’innovation et transférer le crédit d’impôt recherche vers les PME, et investir dans la transition énergétique notamment. Côté Conseil d’Analyse Économique, on trouve : pareil sur le transfert du crédit d’impôt vers les PME, le renforcement de l’aide à l’apprentissage pour les jeunes, resserrer les exonérations de cotisations des grosses entreprises, et réformer les droits de succession pour supprimer les niches et exonérations peu justifiées. Côté FMI, euh… ben on est plus libéral mais on reste dans les mêmes eaux : rationaliser la dépense, nettoyer les niches fiscales, et investir dans le numérique, la transition écologique et… purée eux aussi ils parlent de la garde d’enfants et du congé parental pour favoriser l’emploi des femmes.
Si vous êtes encore là après ce vomi économique, rassurez-vous, à partir de maintenant, on va beaucoup moins parler chiffres et beaucoup plus parler idées.
En gros, ce que nous racontent tous ces économistes en costume bleu marine dans leurs PDF, c’est toujours un balancier : réduire les dépenses certes, rééquilibrer la fiscalité ET investir dans l’emploi, la transition économique, le numérique et la recherche.
En gros, oui, dégraisser le mammouth, mais aussi lui donner des perspectives d’avenir à ce mammouth désormais svelte, pour qu’il arrête de faire du yo-yo et d’enchaîner les régimes.
Et c’est là... ahem. C’est là… purée j’ai du mal. C’est là… que je dégaine… une interview de 3 heures de Carlos Ghosn dans Génération Do It Yourself, que j’ai regardée en entier. Ouais. Alors bon, je le dis tout de suite : la comparaison entre le fonctionnement de l’État et celui des entreprises est une absurdité monumentale qui persiste à me mettre en rogne, donc c’est pas ça qui m’intéresse. Je ne suis pas intéressée non plus par l’évasion du Japon dans une caisse (enfin si, grave, mais à titre personnel, c’est pas le sujet du jour quoi). Ce qui m’intéresse, c’est que ce mec, qui est globalement reconnu pour avoir su redresser des entreprises en PLS, nous donne son mode d’emploi pour faire adopter ses mesures, souvent drastiques, aux employé·es qui vont devoir les encaisser. Et ça tient en trois mots : UN FUCKING PROJET. Dire “oui vous allez devoir faire des efforts pour l’entreprise MAIS je vous promets que d’ici X années, on aura retrouvé la croissance durable”. Et se rendre personnellement garant des résultats (= mettre sa démission dans la balance). Bref, un balancier : rationaliser ET investir, pour éviter de se retrouver 3 ans plus tard à devoir rationaliser encore plus. Fermer des usines qui sous-performent ET lancer des nouveaux modèles de caisse. Assumer un quotidien difficile EN ÉCHANGE d’une promesse d’avenir.
Et voilà, à mon avis totalement personnel et non expert, c’est ça qui manque dans le discours de l’autre buse quand il parle budget (et, soyons honnêtes, dans le discours des autres buses qui balancent leurs projets alternatifs ces derniers jours). Ça s’arrête à l’étape 1 : “faut se serrer la ceinture, c’est comme ça ma bonne dame”. Le projet d’avenir ? Laissez-moi chercher deux minutes. Voilà. Après, SANS DÉCONNER, APRÈS la “taxe de 2€ sur les petits colis”, on trouve “favoriser les nouvelles technologies”, avec un magma flou de réinvestissement des financements de France 2030 vers “les secteurs prioritaires de l’intelligence artificielle et du cyber”. L’internet. Le web. La toile.
Donc voilà, en gros, niveau projet de transition écologique, on a un full-focus nucléaire et une taxe sur les petits colis, et niveau projet numérique, on a de l’IA et du “cyber”.
Voilà.
ÇA, C’EST DE LA VISION !
JE DIS OUI !
ET SURTOUT JE DIS PARDON.
J’ai sous-estimé la vista du bêta de Bétharram.
OÙ EST-CE QU’ON SIGNE pour ces glorieux lendemains qui chantent ?
J’aimerais bien apporter une solution sur un plateau, mais contrairement au Palois pâlot, moi 1/ je suis pas payée 16 k€ par mois pour en trouver 2/ j’ai pas passé ma vie à me préparer à avoir le poste.
Mais voilà ce que je comprends, moi qui n’y comprends pas grand-chose.
Ce que je comprends, c’est que l’Europe est encore un peu comme un lapin pris dans les phares du bouleversement de l’ordre géopolitique mondial. Côté phares Ouest, un fou furieux autoritaro-protectionniste qui change d’avis toutes les 5 minutes, sauf sur un truc : il s’en balek de nous désormais. Côté phares Est, une puissance autoritaro-industrielle et technologique qui monte en gamme à toute vitesse, subventionne ses champions, et profite de nos dépendances. L’Europe se retrouve dans un entre-deux mou (et hop pour les amateur·ices un petit épisode bien flippant du podcast Sismique sur la souveraineté chancelante de l’Europe), à la fois dépendante de capitaux et de technologies qu’elle ne maîtrise pas, et suiveuse de normes et de décisions sur lesquelles elle ne pèse pas.
Tant qu’on n’aura pas défini une troisième voie, qu’on ne portera pas une vision, qu’on ne choisira pas ce qu’on veut produire, comment et pour quel avenir, on continuera à dépendre de rustines temporaires qui s’avèreront définitives, et à débattre de jours fériés au lieu de débattre de stratégie. Et ça, par effet de ruissellement (il existe !) ça ne fera qu’augmenter la fragilité financière, l’impression de déclassement et le ressentiment de populations qui ne cessent de payer le prix du manque de cap.
On a besoin d’une vision. Pas une addition de mesures défensives, mais un contrat proposé en échange des efforts demandés. Pardon, mais se faire pé-ta des jours fériés, ce n’est pas seulement insultant : c’est petit bras. En prime, le débat sur la quantité est non seulement absurde, mais aussi contraire à notre ADN. On a toujours été un pays de qualité. De la qualité de ce qu’on produit à la qualité de vie. À courir derrière les autres et à raboter tout ce qu’on peut à la marge, on est devenus moins-disants sur tout. C’est pas en faisant travailler plus longtemps des gens qui ont déjà des taux records de burn outs, de pénibilité et de pauvreté au travail, tout ça pour cramer la planète alors que nos ressources s’épuisent, qu’on va bâtir l’avenir. Ce n’est pas en prônant une “valeur travail” obsolète et décorrélée de toute valeur écologique et sociale qu’on va se rendre prêt·es pour les enjeux qui nous attendent.
“Faire des efforts”, va bien falloir s’y mettre, et collectivement (ça veut dire tout le monde) (ça veut dire aussi les plus aisés) (et puis revoir les aides aux entreprises, ces 211 Mds dont une large part sans contrepartie explicite ni évaluation solide, qui viennent en miroir d’une taxation plus élevée que les autres pays, je comprends pas la logique). Mais en face, on met quoi ?
À l’origine j’avais écrit tout un pavé pour répondre, mais je l’ai effacé, sous l’action puissante du syndrome du “qu’est-ce que j’en sais et de quel droit je parle ?” (syndrome qui, à notre grand dam, n’a malheureusement jamais atteint les gens qui nous gouvernent). Ça contenait de la transition écologique comme moteur d’emplois, de l’investissement massif dans les TIC, de la réduction d’inégalités d’accès à l’emploi pour les femmes, les jeunes, les seniors et les personnes peu qualifiées, ainsi que des trucs sur l’éducation et la formation. Vous trouverez des propositions plus intéressantes et mieux justifiées dans cet article bien qu’évidemment je ne sois pas d’accord avec tout hein.
Mais bref. Y’a un monde où notre projeeeet c’est de redevenir un pays de la qualité et de l’innovation, plutôt qu’un pays de centimiers. Où on arrête d’essayer de forcer les gens à travailler plus alors qu’on a toujours été — et qu’on a tout intérêt à continuer à être — un pays où les gens travaillent mieux. Où on décide que notre prospérité dépend de bien plus que des indicateurs financiers, et où on participe à incarner une voie alternative aux US et à la Chine, fondée sur la qualité de vie et la durabilité, en se disant qu’il y a des chances qu’à terme, ça soit un pari gagnant.
Ou alors on monétise une semaine de vacances et on taxe les petits colis.
À réfléchir.
Sev