COMMENT ???
Il est une constante chez CDLT : mes articles sur le féminisme sont de loin les plus énervés. Celui-là ne va pas échapper à la règle. J’ai la ferme intention d’utiliser un max de gros mots. Mais comme les gros mots sont l’ennemi de la délivrabilité des emails, je vais les remplacer par des lieux géographiques.
Vous en avez forcément entendu parler donc je ne vais pas m’étaler sur l’installation du contexte : dans un effort de rebranding MAGA hyper subtil entamé depuis quelques temps, Mark Zuckerberg (qui préfère ainsi, comme la plupart des milliardaires, la survie de son entreprise à la démocratie, via la soumission a priori à un pouvoir qui promet d’être imprévisible, autocratique et punitif, et dessine au passage la première étape d’un autoritarisme 2.0 révélant, s’il en était besoin, qu’au fond les grandes entreprises dont on criait haut et fort qu’elles avaient autant de pouvoir que des États restent soumises à la politique au point d’en devenir des instruments quand leur avenir est en jeu, et qu’au fond c’est normal puisque c’est le but d’une entreprise, de survivre et de prospérer à tout prix, et qu’on est globalement bien responsables de la Merdare qui va nous tomber dessus, qu’un jour des gamins étudieront dans des livres d’Histoire en se disant qu’on a quand même été sacrément Conques) (ah ben voilà, je me suis étalée), Mark Zuckerberg donc, a multiplié les preuves d’allégeance à Donald Trump.
Parmi ces preuves : refonte des règles de modération sur les réseaux de Meta, déménagement des équipes concernées au Texas, suppression des politiques de diversité dans l’entreprise, nomination du Républicain Joe Kaplan aux affaires publiques, mais aussi remplacement de Sheryl Sandberg (que je porte pas dans mon coeur, cf, cet article toujours, mais qui était ce qu’on pouvait faire de plus féministe dans cet univers j’imagine) au board par Dana White (qui n’est pas une meuf), vous savez c’est l’espèce d’énergumène qui dirige l’UFC et que Trump paradait dans ses meetings.
Et évidemment, quitte à faire des courbettes au Trumpisme, autant le faire chez le boss de fin, le Cyril Hanouna sous stéroïdes conspi-mascu-raciste adepte des fake news que Trump a remercié pour son soutien lors de son discours de victoire : j’ai nommé Joe Rogan (je mets le lien parce que je suis quelqu’un de rigoureux, mais à l’heure où j’écris y’a déjà 7,7M de vues donc ça m’arrangerait grave que vous cliquiez pas pour ne pas assurer de revenus publicitaires à l’autre Trou du Cure). C’est dans une interview fleuve de 3 heures (que j’ai écoutée en entier) (mon dévouement à CDLT est sans limites) que Mark, au milieu d’un paquet d’autres Conneré, a lâché ces pépites que je m’Emmerdennen même pas à traduire :
It’s like you want feminine energy, you want masculine energy
I do think the corporate culture sort of had swung toward being this somewhat more neutered thing
The masculine energy I think is good. And obviously society has plenty of that, but I think corporate culture is really trying to get away from it. All these forms of energy are good, and I think having a culture that celebrates the aggression a bit more has its own merits that are really positive.
En deux mots : on a littéralement émasculé la culture corporate, et ça serait bien de ramener un peu d’énergie virile. Evidemment, ça a fait jaser, et tout le monde y est allé de son petit commentaire, notamment sur le fait que globalement on manque déjà quand même pas trop d’énergie masculine dans le business.
Mais moi je SAIS, que vous, vous êtes comme moi : vous le savez, que le backlash est inévitable. Dès qu’il y a une avancée sociale, il y a un backlash : c’est l’histoire de la vie, le cycle éterneeel. Ça sert à rien de lutter.
Et donc, comme moi, vous vous posez une question : comment faire ? Comment ramener plus d’énergie masculine dans le business ? Comment vous, à votre petite échelle, vous pouvez prêter allégeance à l’extrême-droite néolibérale américaine et participer à la construction d’un monde corporate plus poilu, plus musclé, plus suant mais surtout, surtout pas homosexuel ?
Ne vous inquiétez pas. Comme toujours, je suis là pour vous aider. Je vais vous lister les piliers d’une culture d’entreprise bien bien mascu-muscu. Et j’ai le meilleur corpus pour appuyer mon analyse, puisque, comme je l’ai déjà mentionné (mais dans une culture testostéronée on N’HÉSITE PAS à insister sur ses accomplissements), j’ai écouté en entier l’interview de Mark chez Joe. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça ne manquait pas d’énergie masculine, voire même qu’à peu près tous les composantes d’une bonne culture de grosses Pouilles y était réunis. C’est donc parti : voici un petit guide de l’énergie masculine à destination du monde corporate.
C’est d’ailleurs le premier truc que dit Zuck pour illustrer l’énergie masculine : “une culture qui fait un peu plus la part belle à l'agression a ses mérites”. Et pour expliquer cette révélation, il s’appuie sur sa découverte du ju jitsu qui lui aurait permis de libérer sa “bad energy” : “En faisant cette expérience, c’est comme si cela avait fait tilt dans mon cerveau et qu’une pièce du puzzle de ma vie, qui aurait dû être là depuis toujours, avait enfin trouvé place.”
Vous voyez, c’est là que je comprends que les femmes sont vraiment inférieures : naïve que j’étais, j’étais ABSOLUMENT persuadée que les arts martiaux étaient fondés sur le respect, l’humilité et la bienveillance. J’étais même - qu’est-ce que je suis Connemara parfois - assez persuadée que le ju jitsu prônait la non-résistance et l’utilisation de la force de l’adversaire à ses dépens.
Je faisais fausse route, mais il est toujours temps d’apprendre : en fait les arts martiaux, ça sert à SE TAPER. COMME DES GROS BONHOMMES.
Et ce qu’on doit tirer comme leçon des arts martiaux, c’est d’arrêter de se retenir quand on a envie d’emplafonner les gens. Avouez, ça va faire du bien. Finie la passif-agressivité, vive l’actif-agressivité. On va enfin pouvoir mettre au pilon les emojis sourire et clin d’oeil et les remplacer par des phrases en majuscules, ou pire, avec des POINTS à la fin. Et qui dit point dit poing. Avouez, “Je te l’ai déjà expliqué.” ça envoie sacrément plus de pâté que “Cf. mail précédent 😉”. N’hésitons pas également à rentrer dans les gens. Physiquement, et verbalement. Peu importe que, selon l’IFOP, 82% des salarié·es en France aient déjà assisté à des micro-agressions au travail (sur, dans l’ordre : l’apparence, l’âge, la santé, le genre), le but est de monter ce chiffre à 100 et le micro au macro. Macro-agressons-nous. Peu importe que 97% des témoins de ces micro-agressions aient ressenti des émotions négatives, et 60% des victimes un impact sur leur bien-être au travail : ce sont des fragiles, et ON EST PAS DES FRAGILES OKAY ?
Je suggère, à des fins pratiques et pour une mise en oeuvre efficace, d’utiliser au maximum le champ lexical de la guerre au quotidien : outre la “culture de guerre” de notre bon ami Théobald, je vous recommande de parler de tactiques, de manoeuvres, de plan de bataille, d’offensive, d’assaut, de QG, d’écrasement, de squads, de gagner du terrain. Vous allez me répondre que le lexique du business est déjà justement émaillé de ces termes, je vous rétorquerai que vous n’avez qu’à le faire PLUS.
Et n’oubliez pas : il est important de n’avoir aucune pitié pour l’adversaire.
A bas l’empathie, vive l’antipathie.
Oh, à ce propos.
Voici un principe essentiel à garder en tête, et à vous répéter comme un mantra si besoin : les émotions c’est sale.
C’est même pas juste sale, c’est absolument Douglas.
Non seulement, toutes les émotions sont à jeter (si ce n’est la colère qui, c’est bien connu, n’est PAS une émotion), mais tous les aspects de l’émotion sont à proscrire.
Les ressentir, de les analyser, de les comprendre, et SURTOUT les exprimer, c’est niet. L’idée, c’est de faire comme si elles n’existaient pas. Oubliez mon article sur le sujet, encore une fois, comme Mark qui passe la première heure de l’interview à dire qu’il a toujours eu des doutes sur le concept même de fact checking, j’étais à côté de la plaque et je fais mon mea culpa.
L’enjeu est de se comporter comme des robots (à l’exception de Wall-E) et de privilégier l’impassibilité et la froideur. Evidemment, à force de refouler, un truc va s’accumuler en vous qui a de fortes chances de s’exprimer sous forme de colère, mais la colère c’est okay. C’est puissant. C’est viril. C’est classe. La colère, surtout quand elle part dans tous les sens et s’exprime par de la violence physique de type “frapper dans un mur”, ce n’est pas du tout un truc de gros bébé qui ne sait pas gérer ses émotions : c’est un truc de KEUMÉ.
Il est important, également, de pointer du doigt les émotions des autres pour, évidemment, les minimiser et les attribuer à, au choix, une forme de fragilité/un manque de leadership/une infériorité TOUT en attendant de certaines personnes, de femmes par exemple, qu’elles en manifestent dans le cadre du travail. J’avais déjà cité cette étude, donc je vous la mets dans un petit cadre PAS ROSE, NON, BLEU CAR LE ROSE C’EST UN TRUC DE GONZESSES, pour que vous puissiez la sauter si vous vous en souvenez.
Dans Human Resource Management en 2018, des chercheuses ont interrogé 236 ingénieur·es et leurs boss sur la perception de leurs compétences, et ont trouvé que :
- pour les ingés mec, le combo compétence+confiance (“savoir ce qu’on fait et se comporter comme tel”) est largement suffisant pour progresser dans leur carrière
- pour les ingés meufs, ce combo est également requis MAIS ne suffit pas : on attend également d’elles des compétences sociales (ouverture aux autres, considération, prise en compte de leurs attentes, douceur, soin, etc.) et on les pénalise si elles en manquent.
C’est ultra-puissant les émotions dans le travail : si vous parvenez à ne pas en exprimer, mais à attendre de certaines personnes qu’elles les expriment TOUT EN les dévalorisant pour ça, vous arriverez à leur marcher dessus, et ça, C’EST ÇA QU’ON VEUT.
Alors j’ai dit que j’avais écouté toute l’interview de Zuck. J’ai menti. Il est possible que j’aie appuyé fébrilement sur le bouton “avancer de 10 secondes” à de multiples reprises quand Joe expliquait à Zuck (je vous cite ça de mémoire, il n’y a absolument AUCUNE CHANCE que je me retape ne serait-ce que 10 secondes de toute cette Merdrignac) :
que la clé dans les arts martiaux est d’avoir un gros cou
que l’ivermectine et les compléments alimentaires étaient une réponse sensée au Covid
qu’il n’avait pas les bons profs de ju jitsu
qu’il n’a pas fait la bonne opération quand il s’est blessé au ju jitsu
qu’il n’a pas le bon programme de convalescence pour se remettre de sa blessure au ju jitsu
que lui, Joe, a le bon programme de convalescence
qu’il n’a pas la bonne méthode de chasse car le fusil est plus efficace que l’arc
que le fusil demande beaucoup plus de force et de puissance
qu’il n’utilise pas bon arc, en plus
J’en oublie. Je n’ai pas les datas, mais en température ressentie je peux vous le dire : je n’avais jamais entendu une interview ou l’intervieweur parle PLUS que l’interviewé. Je n’exagère pas, Joe se lance dans des monologues de 5 minutes sur les détails de son opération du ménisque et comment elle était mieux que l’opération de Zuck, qui se retrouve bien obligé de dire que, ben, il a fait confiance à ses médecins (COMME UN GROS FAIBLE SOUMIS À BIG PHARMA SI VOUS VOULEZ MON AVIS).
C’est fascinant. Et moi ça m’a inspirée. Personnellement, probablement parce que je suis biologiquement inférieure, je n’avais jamais envisagé une conversation et encore moins une interview comme un concours de Bitetto, abordé avec l’idée que ce que moi j’ai à dire est forcément plus intéressant que ce que l’autre personne raconte. Mais en fait quand on y pense c’est pas intégralement débile comme mode de fonctionnement.
Ça fait gagner du temps déjà, parce que plus on parle soi, et moins on a de chances de voir ses idées remises en question, ce qui est un processus douloureux et long alors qu’on a mieux à faire (DE L’ARGENT). Ensuite, c’est hyper sexy. Ça permet d’établir une forme de supériorité sur l’autre, qui saura reconnaître l’alpha en nous et vouloir se reproduire avec nous, ou nous faire don de sa meuf pour qu’elle le fasse. Enfin, c’est généreux : si, comme Joe, on a “fait ses recherches” et compris, parce qu’on est plus intelligent que la moyenne, que les compléments alimentaires sont utiles contre le Covid, c’est quand même sympa de le partager avec plus péquenaud que soi.
Bref, j’ai enfin compris le mansplaining.
Et moi je vous le dis : il nous en faut davantage. Peu importe que, selon une étude rigolote aux US, le travail soit déjà le premier lieu où le mansplaining s’exprime (pour 56%, contre 54% dans la famille) (non mais j’insiste, il y a plus de mansplaining au travail que dans LA FAMILLE, LE LIEU OÙ EXISTENT LES DARONS ET LES ONCLES), et que 83% des femmes disent avoir une expérience professionnelle plus solide que les mecs qui les mansplainent, ces ingrates. Elles ne savent pas ce qu’elles ratent avec leur attitude.
Je pense qu’il faut étendre le mansplaining au-delà des hommes. Je suis pour le humansplaining. Expliquons-nous la vie les uns aux autres. Si possible en longueur, et en se coupant la parole.
Il y a une autre chose qui m’a frappée dans l’interview : le temps qu’ils passent, l’un et l’autre, à parler en bien d’autres hommes. Le pré-cité Dana White, notamment, et d’autres dont j’ai oublié le nom parce que je m’en bats l’Estaque. Et quand je dis qu’ils y passent du temps, je ne déconne pas, on a le droit à chaque fois au même bro sandwich dont voici la recette :
pain : “he’s great”, “he’s amazing”, répété de part et d’autre
beurre : “I love this guy” répété de part et d’autre
jambon : la biographie entière du mec, vraiment, genre son enfance, son CV, la totale
cornichons : liste d’attributs masculins qui distinguent le mec (succès, génie, leadership, thune, etc)
beurre (pardon, mais j’espère que vous beurrez les deux tranches, c’est important d’aimer la vie) : re-déclaration d’amour
pain : re-avalache d’adjectifs laudatifs
C’est terriblement pénible à écouter, mais ça se reproduit tellement dans l’interview que ça raconte quelque chose : la tendance naturelle des BROS c’est de se valoriser entre eux, de se filer des coups de mains entre eux, de se faire la courte-échelle l’un à l’autre. De mémoire (et ma mémoire est ce qu’elle est), je crois qu’aucune femme n’est mentionnée dans l’interview. Peut-être Kamala Harris, ou peut-être Priscilla Chan, la femme de Zuck, mais j’suis même pas sûre. En tout cas, AUCUNE femme n’a droit au bro sandwich susmentionné. Car oui, la nature humaine est à l’homophilie (C’EST PAS CE QUE VOUS CROYEZ LES GARS, RASSUREZ-VOUS), qui est la tendance à fréquenter et préférer des gens qui nous ressemblent. Et puis faut se l’avouer : personne ne les aime comme ils s’aiment entre eux. Franchement à écouter ces mecs hétéros parler les uns des autres, je repense à cet extraordinaire saillie de Virginie Despentes dans King Kong Théorie, que je vais malheureusement (pardon Virginie c’est pour pas arriver dans le mauvais dossier dans les boîtes mail) devoir affadir avec des noms de lieux :
Les hommes aiment les hommes. Ils nous expliquent tout le temps combien ils aiment les femmes, mais on sait toutes qu'ils nous bobardent. Ils s'aiment, entre eux. Ils se Bez à travers les femmes, beaucoup d'entre eux pensent déjà aux potes quand ils sont dans une Schatte.
Et forcément, les politiques de Diversité & Inclusion sont un caillou dans la chaussure de gars qui font naturellement plus confiance aux gars comme eux. Et paf, ça donne la broligarchie qui dirige désormais les US (faite d’obsession de la crypto, de la MMA, et de l’empire romain CAR ÉVIDEMMENT QUE C’ÉTAIT UN SALUT ROMAIN VOUS AVEZ CRU QUOI ?), la bro culture et les boys clubs.
Donc voilà pour suivre le mouvement, ma recommandation est la suivante : ne faisons plus aucun effort pour dépasser nos biais. Si nos biais sont là, c’est que l’évolution ou Dieu en ont voulu ainsi. Et donc que c’est naturel. Et ce qui est naturel est bien (comme les compléments alimentaires) (-10% si vous les achetez via ce lien). Si on se laisse aller à nos premiers instincts, non seulement on gagne du temps (ET LE TEMPS C’EST DE L’ARGENT) mais on se retrouve finalement entouré·e de gens qui nous ressemblent et pensent comme nous et ça, ça fait gagner encore plus de temps (ET DONC ENCORE PLUS D’ARGENT).
Ok, je vais vous faire une confidence. Et là le moi qui parle, c’est celui qui fait des digressions entre parenthèses sur la montée de l’autoritarisme, pas celui qui fait des articles entiers au second degré (pour plus de clarté je vous dirai subtilement quand on revient au second degré).
C’est vraiment ultra-bizarre à avouer, mais voilà : j’ai un peu de pitié pour Zuck.
Qu’on s’entende : évidemment que Zuck est un énorme Conrad. Le mec a littéralement fondé un empire en volant l’idée d’autres gars, la première version de Facebook était foncièrement sexiste, ajoutons que le réseau social a permis de favoriser des dérives politiques dangereuses et parfois mortelles dans le monde entier, et qu’il collecte allègrement nos données les plus personnelles pour les revendre à qui veut. Je n’ai évidemment aucune empathie pour lui car, rappelons-le 1/ je n’ai pas d’émotions 2/ il ne le mérite pas.
Et pourtant, il y a un truc qui me frappe, quand je regarde cette interview, et quand je me penche sur le rebranding personnel de Zuck ces dernières années : c’est la soumission.
Il y a évidemment plein de facteurs derrière le revirement récent de Zuck. Des facteurs personnels (rappelons-nous quand même que le gars a fondé le bail à 19 ans et est devenu milliardaire à 23 donc bon, il avait pas complètement fini de cuire), des facteurs politiques, des facteurs économiques. Je vous recommande cet excellent épisode du podcast Search Engine où PJ Vogt a passé une semaine à essayer de comprendre la psychologie et l’histoire du gars pour tenter d’expliquer son switch récent. Mais moi, j’aimerais y ajouter un autre facteur.
Zuck, jusqu’à il y a peu, était un modèle divergent de masculinité : un espèce de nerd froid, suant, sans panache et sans âme en hoodie que les mascus appelleraient sûrement un beta, ou n’importe quelle autre lettre de l’alphabet grec qui n’est pas la première. L’opposé exact du type du milliardaire flamboyant que l’Amérique adore. Au fond, nous explique Fincher dans The Social Network (j’ai les sources que je peux), la revanche de Zuck était précisément celle-là : celle du geek plus intelligent que les autres qui la Metz bien profond aux beaux gosses des fraternités. On le détestait pour ça, pour son attitude et sa dégaine, mais on ne pouvait que respecter son pouvoir. Sauf que depuis quelques années, Zuck a fait un virage à 180° précisément sur l’expression de sa masculinité. On dirait même qu’il a fait une petite checklist de la masculinité traditionnelle, et qu’il s’est appliqué à tout cocher : sports de BONHOMME, muscles, guitare, chasse, fringues de BG, signes extérieurs de richesse type Rolex à 900 000 boules. Et vous avez bien vu ce qu’il se passe : oui, certain·es continuent à le moquer, mais globalement, le mec est célébré pour sa transformation et pour ce qu’il incarne. Dans l’interview de l’enfer, Joe passe les 10 premières minutes à le complimenter sur son physique de mec qui fait du ju jitsu, sur son gros cou, sur son style.
Et moi, ça me dit un truc : si même le 3ème mec le plus riche du monde, à la tête d’un empire multinational, avec la main sur un service utilisé par quasiment la moitié de la population mondiale, finit par se soumettre au cliché de la masculinité et à ÊTRE GLORIFIÉ POUR ÇA, ça signifie tout simplement que la masculinité traditionnelle est plus forte et puissante que même Mark Zuckerberg. Qu’elle le met KO au combat.
J’ajouterais que si le MÊME MEC riche-puissant accepte de passer largement un tiers d’une interview de 3h à se faire expliquer par l’autre Tranche-sur-Mer qu’il n’est pas encore assez masculin, assez fort, assez bon à la chasse, le tout SANS BRONCHER, voire même en se justifiant, voire même en cherchant l’approbation de l’autre (je vous assure, ça se voit, il parle comme dans en entretien d’embauche en guettant toutes les réactions en face) ça me donne un bon aperçu, perso, des origines de ce personal rebranding. Je veux dire, le mec évolue littéralement dans ces sphères de grosses Pouilles, de concours permanent de qui a le plus de succès, la plus belle bagnole, la plus belle meuf, et je comprends, qu’après avoir lutté aussi longtemps, il ait fini par se coucher. Et c’est fou, mais MÊME une fois qu’il coche les cases, ce n’est pas encore assez, il reste une montagne de trucs qu’il ne fait pas encore suffisamment bien, et il continue à se faire expliquer la vie.
Et pardon, mais je vais m’énerver désormais.
En fait pas pardon, parce que VRAI MÂLE ne s’excuse pas, juste il s’énerve.
C’EST EXACTEMENT ÇA QU’ON VOUS EXPLIQUE, LES MECS, QUAND ON PARLE DE MASCULINITÉ TOXIQUE. ON NE DIT PAS QUE LA MASCULINITÉ EST TOXIQUE, BORDELUM À SCHOTTEN, on dit que le modèle hégémonique de masculinité FAIT DU MAL. Il fait évidemment du mal aux meufs, MAIS IL FAIT AUSSI DU MAL À TOUS LES HOMMES QUI NE SE CONFORMENT PAS À LA PERFECTION À CET IDÉAL DÉBILE, c’est-à-dire à peu près tous les hommes, sauf probablement TiboInShape, Elon et deux-trois pickup artists.
La masculinité toxique pour les hommes, c’est un ensemble de pressions et d’injonctions à se conformer sous peine d’être exclu, dévalorisé, ridiculisé ou - summum du summum - traité de Pédéjouan. Des types de masculinités, y’en a un paquet, et des masculinités pas toxiques, y’en a plein. Mais si même l’un des mecs les plus puissants de la planète a fini par céder sous la pression, je ne peux qu’imaginer ce que cette pression représente au quotidien pour tous les autres.
OK LÀ ON REVIENT AU SECOND DEGRÉ OKAY ?
Et donc si on veut une culture corporate bien membrée, qui pose bien ses Kuy, je pense que la marche à suivre est simple : célébrons la masculinité. Commençons par rabaisser, puis, si elles ne changent pas, excluons-en toutes les personnes qui se se conforment pas au modèle. N’acceptons les femmes que si elles se comportent comme un bro. N’acceptons les personnes LGBTQIA+ que si elles n’ont pas trop l’air de l’être. N’acceptons des hommes aucune preuve de sortie de route.
Tenez, si vous voulez une illustration, tirez leçon de l’une de mes anciennes boîtes. C’était hyper bien foutu : un bon boys club à la tête (vous pouvez aller voir mon CV si vous voulez, c’est malheureusement pas sur cet indice que vous trouverez), un plafond de verre en Pyrex, un sexisme ultra-molletonneux qu’on ne comprend que petit à petit. La boîte a fait deux trucs, et je vous promets que je dis la vérité. Le premier truc, c’est qu’ils ont annoncé en grande pompe avoir disposé des protections hygiéniques dans les toilettes des meufs. Très beau, très inclusif. Mais, je vous assure que c’est vrai : ils n’avaient visiblement pas eu le mémo que les règles ça revient, et donc ils ne l’ont fait qu’une seule fois. Leur réel accomplissement cela dit, c’est le deuxième truc : ils ont organisé une fête (c’est une excellente technique ça, les fêtes, ça permet de boire comme des trous et donc de ne pas être responsable des trucs qu’on fait ensuite) et le thème était, je vous le donne en mille : FRAT PARTY. Frat Party. Comme une fête de fraternité américaine, qui est caractérisée si j’en crois la pop culture par le fait que 1/ la fraternité, c’est par définition un truc de mecs 2/ l’abus de substances 3/ l’abus des femmes.
Voilà, je vous offre cet exemple pour inspi, vous m’en direz des nouvelles.
Bon, je pourrais encore en faire des caisses sur la compétition, l’autorité, la quête de la performance à tout prix, mais vous l’avez. Cet article vise à montrer trois choses.
La première, c’est que… il y a déjà vachement d’énergie masculine dans le business en fait ou je rêve ? Les cinq trucs susmentionnés, je sais pas vous, mais moi (et alors qu’en plus je dirige une boîte, donc techniquement je suis assez protégée) je les expérimente ou les observe à peu près… ben genre toutes les semaines. Je vois pas trop ce qu’on aurait à changer, si on voulait faire pire, pardon, plus fort. Ou je rêve ?
La deuxième, c’est que bien sûr, “énergie masculine” ne veut absolument rien dire (comme “énergie féminine” d’ailleurs, car il semblerait que chaque personne soit différente, je sais c’est ouf) tout en signifiant une chose très claire : qu’on insiste pour nous fourguer un modèle unique de masculinité. J’ai été absolument scotchée en octobre dernier par cet épisode de celui du NYT qui analysait la différence d’intentions de vote aux US chez les jeunes sous l’angle du genre, et mettait en regard des jeunes hommes paumés de la disparition du seul modèle masculin qu’on leur avait appris, et des jeunes femmes ouvertes, optimistes, éduquées, et surtout, politisées.
La troisième, c’est que oui, il est temps, si ce n’est déjà fait, de se préparer pour un bon gros backlash des familles. On est toujours un peu en retard en France, donc on est encore à la traîne dans la montée à niveau sur politiques d’inclusion. Mais autant se préparer dès maintenant à la redescente, parce qu’elle va nous tomber dessus plus vite que prévu, maintenant que le grand frère ricain vient d’ouvrir les vannes du n’importe quoi, pardon du free speech, et que nos feeds vont être encore plus répugnants qu’ils ne le sont. Et je ne sais pas si j’ai été assez claire dans mes majuscules du point 4 alors je le répète : ON A TOUS·TES À Y PERDRE.
Sev