Vous bossez pour l'argent, vous ?

Let the fric out

CDLT
11 min ⋅ 06/02/2025

(oui, le bandeau c’est Claude Money y’a quoi)

J’ai percuté un truc la semaine dernière : ça fait bientôt quatre ans que CDLT existe et je n’ai encore jamais parlé d’argent.

J’ai parlé de réussite, j’ai parlé du SMIC, Romain a fait un guide y’a longtemps sur comment planter sa négo de salaire… Mais j’ai jamais abordé ce qui est littéralement le truc en échange duquel on bosse : la moula. Notre rapport à la moula. Le rapport entre le travail et la moula. La moula et le bonheur. La moula la plage, aouh cha cha cha.

Ce qui est l’illustration parfaite d’un truc que je vais pas vous apprendre : c’est dur hein, de parler thune. Le sujet est à la fois tabou et partout, à la fois sale et vital, à la fois géant et gênant.

Et bien trop colossal pour être traité en un seul article (à moins que cet article ne fasse 28 000 signes, mais on vient de sortir d’un mois de janvier qui a duré 2 ans, je propose qu’on se ménage un peu).

Donc on va commencer par un défrichage plus que nécessaire : on va mettre des coups de batte rageurs dans les grands mythes qui font la piñata de notre rapport à la thune dans le travail.

Ces mythe sont, je crois bien, au nombre de quatre. Des clichés pétés sur l’argent qui sont tellement intégrés dans nos façons de penser qu’on pourrait les appeler… des billets cognitifs.

Et rien qu’à les lister pour préparer cet article, je me suis énervée toute seule.

C’est parti.

1. On fait pas ça pour l’argent

C’est le tabou central. Le grand non-dit.
Le patient 0 dans l’épidémie de conneries qui gouvernent le rapport à la thune dans le taf.
Donc on va y passer un moment, je préviens.

Il y a quelque chose de sale à admettre qu’on bosse pour gagner de l’argent. Le tabou ici se situe sur une très fine ligne : il n’y a aucun souci à admettre qu’on reçoit de l’argent en échange de notre travail, c’est la notion de besoin qui nous met mal à l’aise. Tout travail mérite salaire (sauf, bien sûr, quand on package le travail gratuit sous forme de journée de solidarité ou d’heures d’activité en échange d’un RSA, mais ça n’a RIEN À VOIR), en revanche, même si c’est vrai, il est indicible d’avoir besoin de travailler pour payer son loyer.

Au fond, la culture commune du rapport à l’argent dans le taf se construit précisément sur cette base éclatée au sol : on fait tous·tes comme si on était au-dessus de ça. Comme si assurer nos besoins primaires était un truc anecdotique, un truc vulgaire, un truc de prolo, qui nous ramenait à une condition et à une époque qu’on avait collectivement dépassées.

Peu importe que 2 millions de travailleurs·es en France soient sous le seuil de pauvreté. Peu importe que seul·es 39% des Français·es considèrent ressentir un “bien-être financier” et que les Français·es estiment en moyenne avoir besoin d’un demi-SMIC en plus pour “bien vivre”.

Ce sont des considérations mesquines.

Le summum de cette hypocrisie, c’est le fait que nombre d’employeurs se sentent personnellement insultés à l’idée que les gens travaillent pour le blé. "On cherche quelqu'un de vraiment motivé, pas quelqu'un qui ne vient que pour l'argent" a-t-on le malheur d’entendre, et parfois de lire dans des posts LinkedIn et des offres de taf. La personne qu’on cherche, au fond, est tellement en phase avec notre vision d’entreprise qu’elle serait prête à limite PAYER pour être là (ricanez pas, ça existe : on appelle ça un stage) (oui car être payé·e, pardon, gratifié·e de 4,35€ de l’heure, vu le coût de la vie, ça revient à payer pour bosser) (je vous recommande de suivre Pigeon Gratuit si ce n’est déjà fait). C’est d’autant plus faux-cul que, généralement, la personne qui s’offusque de la motivation pécuniaire d’autrui gagne entre 3 et 32 fois le salaire qu’elle propose pour un poste. Mais que voulez-vous, tout le monde n’est pas assez éclairé pour comprendre l’immense enrichissement philosophique promis derrière l’inexistant enrichissement matériel.

Et c’est comme ça qu’on voit débarquer des notions turbo-pétées comme le “salaire émotionnel”. Rien qu’à écrire ces mots j’ai eu une remontée acide. Le salaire émotionnel, c’est tous ces bénéfices qu’on retire à travailler qui ne sont ✨ pas de l’argent ✨ : reconnaissance, épanouissement, appartenance, accomplissement, flexibilité. Entendez-moi bien : ces bénéfices sont extrêmement importants. Mais les appeler “salaire” et les placer au même niveau que l’oseille trahit l’espoir que les gens sont vraiment assez teuteus pour ne pas voir la douille.

Et vous savez ce qui me fait péter un maxi-câble dans cette idée qu’on ne bosse pas pour le pognon ? C’est qu’elle est profondément discriminatoire. Elle implique qu’il est quand même idéal de recruter des personnes assez privilégiées pour que l’argent ne soit pas un problème pour elles. Toute manifestation d’une nécessité d’avoir de la thune fout une sale ambiance, avouez.

Alors, j’aimerais que vous et moi, là, on prenne une grande inspiration et qu’on prononce cette phrase : je travaille pour l’argent. Allez. Dites-le.

AH JE VOUS VOIS ! Vous avez pensé “oui mais pas que pour l’argent quand même, c’est plus compliqué que ça”. Oui.

Evidemment que c’est plus compliqué que ça. C’est même giga-compliqué. Des études sur le sujet, il y en a un paquet. Celles qu’on trouve dans les médias des employeurs, comme ce résumé des méta-analyses sur le sujet dans la HBR disent, c’est étrange, que l’argent n’est PAS un motivateur. Elles disent même, c’est fichtrement pratique dites-donc, qu’il est possible que l’argent DÉMOTIVE. Si, je vous assure, attendez, morceau choisi :

The first is a classic meta-analysis by Edward Deci and colleagues. The authors synthesized the results from 128 controlled experiments. The results highlighted consistent negative effects of incentives — from marshmallows to dollars — on intrinsic motivation. These effects were particularly strong when the tasks were interesting or enjoyable rather than boring or meaningless.

OUI VOUS AVEZ BIEN LU : non seulement recevoir un truc en échange de son taf c’est démotivant, mais si en prime le job est intéressant, là c’est limite insultant. ALORS VOUS ME CONNAISSEZ. Moi je voulais faire un article un peu vitriol, un peu éditorial, un peu court, un peu rigolo, mais là, je ne POUVAIS PAS NE PAS aller voir de quoi ça parle.

Et nom d’une pipe.
Boy oh boy.
J’ai bien fait d’y aller.
Quel délice.

L’étude fondatrice de cette pensée nous vient d’Edward Deci, et elle date de 1971. Laissez-moi vous raconter c’est pépite, mais au cas où vous avez envie de sauter par-dessus ce rabbithole méthodologique pour passer à la suite, je vous mets ça dans un encadré.

En gros, les gars ils veulent tester une hypothèse : est-ce que si on file une tâche intéressante à quelqu’un, l’argent vient tout gâcher en ruinant la motivation intrinsèque par une basse motivation externe.

Et donc dans la première expérience - sur laquelle je le rappelle, on fonde une vision du monde corporate disant que les gens sont démotivés par le salaire - ils prennent 24, je répète, VINGT-QUATRE étudiants en psychologie, je répète ÉTUDIANTS EN PSYCHOLOGIE, et ils leur filent… un puzzle, je répète, UN PUZZLE qui permet plein de combinaisons, en leur listant des combinaisons à réaliser. Ils leur mettent à dispo des magazines (le New Yorker, Time, et Playboy, je répète, PLAYBOY). Ils font deux groupes et trois ateliers où ils laissent les étudiants seuls pendant 8 minutes. Dans le premier atelier, les deux groupes font des puzzles. Dans le deuxième atelier, les deux groupes font des puzzles mais l’un des deux reçoit un dollar, je répète, UN DOLLAR pour chaque puzzle réalisé. Dans le troisième, les deux groupes refont des puzzles mais plus aucun ne reçoit de thune. Ils chronomètrent alors le temps passé sur les puzzles et c’est comme ça, je répète, AVEC UN CHRONOMÈTRE qu’ils mesurent la motivation. Et PAS en se disant que moins on passe de temps sur les puzzles, plus on est efficace, non, en se disant que PLUS on y passe de temps, plus on est motivé.
Et ce qu’ils trouvent, KILUCRU, c’est que le groupe qui reçoit de la thune au deuxième atelier passe plus de temps sur les puzzles à ce moment-là, mais quand on lui retire la thune au troisième atelier, eh bien ils en passent soudainement beaucoup moins et ils préfèrent lire Playboy.
J’AI BIEN LU CE QUE J’AI LU : en gros, les gars filent une gratification (de merde) pour une tâche, la RETIRENT, s’étonnent que du coup les étudiants soient préfèrent mater des meufs à oilp, et ON EN DÉDUIT que l’argent réduit la motivation intrinsèque des gens dans le travail. Wow. Hyper puissant. Vraiment super applicable. C’est clairement une PREUVE IRRÉFUTABLE que l’argent démotive.

ET ATTENDEZ C’EST PAS FINI ! Parce que les gars sont pas des saltimbanques, ils se disent, ok, c’est une expérience de laboratoire, essayons dans la vraie vie. Ils reproduisent le même mécanisme (deux groupes, plusieurs sessions : une pas payée, une payée pour un groupe, puis des sessions pas payées), cette fois SUR HUIT PERSONNES (vraiment de mieux en mieux), des étudiants en journalisme à qui ils font écrire des titres de manchette, en mesurant le temps passé à les écrire. SAUF QUE CETTE FOIS, ils INVERSENT LA MESURE : ils se disent que plus les étudiants font vite, plus iels sont motivés. Et ils trouvent que le groupe à qui on file puis retire la thune passe alors plus de temps sur son écriture que l’autre. Et DONC ils font la même analyse, qui est que l’argent démotive, sur la base de la mesure inverse. Rien que ça, c’est pétax, mais ajoutons qu’en prime, de leur propre aveu, leur data est complètement nulle car 1/ les groupes, sur l’une des périodes, ont un cours calé en même temps que les sessions d’écriture, et ils n’ont pas pu mesurer les absences 2/ l’un des étudiants du groupe de contrôle a pris un autre job pendant l’expérience (donc ils ont gardé ses datas de la première session, mais pas les suivantes vu qu’il était pas là) 3/ pareil pour un autre étudiant du groupe de contrôle qui a loupé les derniers ateliers 4/ ah, et aussi pour un des étudiants du groupe expérimental. Donc je récapépète : ils inversent d’une étude à l’autre l’outil de mesure de motivation, 3 sujets sur 8 ne mènent pas l’étude jusqu’au bout, tous les étudiants ont un conflit horaire à partir de la moitié de l’étude et on sait techniquement pas combien étaient là.

MAIS OK C’EST GOOD, ON VA VRAIMENT EN FAIRE UNE ÉTUDE DE RÉFÉRENCE POUR TIRER UNE CONCLUSION GÉNÉRALE SUR LE MONDE DU TRAVAIL QUI EST QUE L’ARGENT DÉMOTIVE LES GENS À TRAVAILLER.

Evidemment, il y a un paquet de méta-analyses tirant les mêmes conclusions qu’il faudrait aller creuser pour savoir si elles sont toutes fondées sur ce type d’étude ultra-débile, mais je vous propose qu’on sorte de ce rabbithole si vous vous y êtres jeté·e avec moi (bravo et merci) et qu’on continue cet article.

Evidemment, on trouve aussi des études qui 1/ n’ont pas une méthodologie moisie 2/ disent l’exact opposé, comme celle de Bloomberg dont j’avais déjà parlé ici, qui a… simplement interrogé 10000 personnes dans de nombreux pays sur ce qu’elles voulaient au travail, et a trouvé que le salaire est généralement le premier motivateur (sauf chez nous où il arrive en deuxième, mais je vous renvoie à mon pavé pré-cité pour comprendre pourquoi).

On trouve aussi des données qui illustrent parfaitement le paradoxe de notre rapport à l’argent, comme la toute fraîche étude sur les salarié·es français·es de Great Place To Work, qui dit (slide 33 pour les puristes) que si la rémunération est seulement le 4ème aspect le plus important au travail, elle est la… première raison qui amènerait les gens à quitter leur boîte.

L’étude probablement la plus nuancée sur le sujet du lien entre argent et motivation nous vient de McKinsey en 2022. C’est McKinsey : on peut pas les soupçonner d’être des syndicalistes Kro-merguez-moustache. Et en effet, le but de l’étude est très employeur-friendly : ils classent les employé·es dans 5 types de personas selon ce qui les motive au travail, pour inciter les employeurs à mieux cibler leurs tentatives de recrutement (= à aller chercher des gens qui ne sont PAS motivés par l’argent) (OUI c’est vraiment le but de l’étude, ils incitent à aller chercher des “nontraditional workers”, les “traditionnels” étant celleux qui se préoccupent de leviers mesquins comme le salaire, les promotions, les titres, le vieux monde quoi). Et bien malgré eux, ils dessinent une cartographie des aspirations au travail qui va pas du tout dans leur sens : les “traditionalistes” intéressé·es par l’avancement et les sous (beurk) constituent la grande majorité des travailleurs·es (permettez-moi un ricanement déjà, là). Et les autres - idéalistes, “do-it-yourselfers”, et, intéressant, les aidants ou “caregivers”… sont intéressés par d’autres choses… mais par l’argent aussi. Respectivement, la thune est pour ces trois profils, la 3ème, la 6ème et… la première motivation qui leur feraient prendre un job. Voili-voilou.

Il y a encore beaucoup à dire, mais la vie est courte donc je vous propose qu’on passe au deuxième point. Disons simplement pour conclure qu’ÉVIDEMMENT que l’argent n’est pas la seule motivation à travailler. Qu’évidemment qu’il est sain de parfois de faire des arbitrages (de type gagner moins mais ne pas être en souffrance). Mais à laisser perdurer une culture qui fait du biff une question anecdotique voire hors-sujet, on devient les dindons d’une foire à la discrimination et à l’exploitation.

Le deuxième mythe est une continuation du premier par d’autres moyens.

2. L’argent ne fait pas le bonheur

Alors là on va faire court, car c’est étrangement assez simple.

Le sujet a été traité en long, en large et en travers, avec toujours le même résultat.

Ce résultat en deux mots : si, en fait, l’argent apporte le bonheur, voilà.

Ce résultat en plus de mots : il apporte le bonheur, que voulez-vous que je vous dise. Jusqu’ici certains (et par certains, j’entends Daniel Kahneman, le boss de fin, la re-sta de la mesure du bonheur) expliquaient qu’il contribue FORTEMENT au bien-être global jusqu’à un certain plafond (aux US, 75k$ par an) et qu’au-delà, il arrêtait d’y contribuer significativement (vous avez FORCÉMENT entendu parler de ce truc).

Eh bien y’a eu des news. Kahneman et son principal contradicteur, Matthew Killingsworth, dans ce qui est probablement the most ambitious crossover in history pour les gens comme moi, ont mené ensemble une étude contradictoire sur le sujet avec une app de tracking auprès de plus de 30 000 personnes et sont arrivés à une conclusion autrement plus intéressante, fondée sur un point de départ pas complètement débilos, qui est : y’a des gens foncièrement plus ou moins heureux que d’autres gens, de base. Si on part de là, voici ce qu’on trouve :

  • Pour les 15-20% des gens les plus malheureux : l'argent aide jusqu'à environ 100 000$, puis n'a plus d'effet

  • Pour la majorité intermédiaire : l'effet positif de l'argent continue de façon linéaire au delà de 100k$

  • Pour les 30% les plus heureux : l'effet de l'argent s'accélère même au-delà de 100 000$

Voilà. L’argent participe au bonheur de tout le monde, mais différemment, mais quand même.

Selon eux, voir son salaire multiplié par 4 apporte deux fois plus de bonheur que d’être marié·e et autant que l’effet d’un week-end. Ok, ces derniers chiffres, je vous concède qu’ils sont débiles mais ils ouvrent une porte que je trouve important de fracasser : c’est pas parce qu’on assume que l’argent rend heureux qu’on devient subitement Gordon Gekko.

Avec la formulation “l’argent ne fait pas le bonheur” qu’on balance comme une évidence pour fermer le débat (notamment le débat du point 1 c’est pratique), on dit en gros que l’argent n’est pas le seul contributeur au bonheur. BEN OUI PATATE. QUI (DE SAIN D’ESPRIT) PENSE SINCÈREMENT ÇA ? Le problème, c’est qu’on jette le bébé avec l’eau du bain : on évacue le fait que l’argent est fortement contributeur au bien-être, et que purée, c’est PAS SALE DE LE DIRE.

Ça ne fait pas de nous de gros crevards cupides obsédés par le flouze. Car, c’est fou d’avoir besoin de le dire : l’argent est un moyen. Je ne vois pas en quoi aspirer à

  • pouvoir se loger, se nourrir, et se faire kiffer

  • ne pas angoisser

  • avoir un matelas en cas de coup dur

  • pouvoir s’extraire d’une situation pénible (type, un taf qui nous pourrit la vie)

  • pouvoir échanger de l’argent contre la délégation de trucs qui nous font chier

est quelque chose d’inavouable. On peut évidemment être heureux sans le sou. Mais clamer que l’argent n’est pas si important que ça, on ne peut se le permettre que quand on en a assez pour ne pas s’en préoccuper, si vous voulez mon avis.

3. Parler d’argent, ça ne se fait pas

Le saviez-vous ? D’après une étude rigolote bien que peu utile de l’Ifop, il est tabou pour 68% des collègues de parler de rémunération entre elleux. À titre de comparaison, ça veut dire que les gens préfèrent parler :

  • de relations sentimentales/sexuelles entre collègues (tabou pour 52% des gens) (alors que pardon, mais si y’a bien un truc qui fait le sel du présentiel…)

  • de religion et de laïcité (tabou pour 46%)

  • d’immigration (45%)

  • du conflit israélo-palestinien (43%)

  • de faire caca au bureau (39%)

que de leurs salaires.

Pardon, mais si c’était pas un peu grave, ça serait hilarant.

Je sais pas si vous mesurez l’absurdité du bail. Le monde du travail c’est littéralement un club échangiste où tout le monde prétend être là pour le buffet. Employé·es comme indépendant·es, on bosse absolument tous·tes POUR LA MÊME RAISON, on signe tous·tes des papiers formalisant un échange de travail contre de l’argent, mais on préfère parler de caca que de ce qu’on gagne.

Derrière ça, il y a un hold-up extraordinaire. En acceptant l’idée qu’il est limite indécent de parler de ce qu’on gagne, on s’arnaque nous-mêmes pour le plus grand bénéfice des gens qui nous payent. Pour avoir moi-même déjà vécu l’expérience de lâcher nos salaires entre collègues du même niveau, je peux le dire : on sous-estime le pouvoir révolutionnaire de la transparence salariale. Vous voyez, cette espèce de colère visiblement inépuisable qui alimente newsletter CDLT après newsletter CDLT depuis bientôt 4 ans ? Ben elle a très certainement commencé précisément à ce moment-là. Vous l’avez, ma villain origin story.

J’aimerais vous poser une question, là : qu’est-ce qu’on a à perdre à parler de ce qu’on gagne ? Au mieux, on découvre qu’on est grassement surpayé, c’est valorisant, et on incite quelqu’un à aller chercher ce qu’iel mérite. Au pire, on apprend qu’on se fait enfler, et on est incité à aller chercher ce qu’on mérite.

Je me permets ici une parenthèse adressée aux hommes (c’est pour ça qu’elle est en BLEU) : coucou, salut, dites, si vous voulez sincèrement être des alliés, c’est HYPER BIEN d’écouter des podcasts de Victoire Tuaillon et de critiquer Dominique Pélicot, mais hé, une idée comme ça : si vous disiez à vos collègues/pairs meufs combien vous gagnez ? Là, si j’en crois les stats, vous réaliserez ensemble qu’a priori elles gagnent 15 à 25% de moins que vous. Et boum, voilà servie sur un plateau d’argent une occase d’être un allié en or en les soutenant lors de leur prochaine demande de plus de flouze. De rien.

À se laisser berner par les “ok on te file une prime mais t’en parles à personne” et par cette idée que la rémunération est à jeu à somme nulle, on joue à Squid Game : qu’on gagne ou qu’on perde, on se laisse humilier pour le plus grand kif des plus puissants que nous (enfin j’imagine, j’ai lâché la saison 2 en cours).

On gagnerait à dépasser collectivement le malaise autour de l’argent. Et par collectivement, j’entends les femmes et les minorités d’abord. Je suis profondément d’accord avec le fait que ce n’est pas de notre faute, si nous sommes moins bien rémunéré·es pour le même travail et davantage pénalisé·es quand on demande plus, mais voilà, c’est bien le dernier truc sur lequel on pourra attendre un changement proactif de l’autre côté. Je suis moi-même la pire négociatrice que la Terre ait portée, donc ce que je vais vous dire, je me le dis à moi-même au passage : être mal-à-l’aise pour négocier un salaire, un taux journalier, ou une augmentation, c’est littéralement comme aborder quelqu’un aux Chandelles pour parler du velours des banquettes.

4. Si on fait ce qu’on aime, l’argent suivra

Mouhahahahaha.

Alors non, hein.

Je vous renvoie au pavé sur la méritocratie, mais comme je suis sympa je vous le résume : la méritocratie est un concept inventé par les élites pour justifier leur position tout en faisant croire que chacun peut réussir s'iel le mérite vraiment, alors que les données montrent que la réussite dépend largement des privilèges de départ. Non seulement la méritocratie est - dans l’ensemble - un mirage, mais elle est toxique car elle fait porter aux individus la responsabilité de leur échec et les empêche de remettre en question un système profondément inégalitaire.

Toutes les datas sont dans l’article, donc je vais me contenter d’une suite d’affirmations sans justification, parce que y’a pas qu’Orelsan.

Le “métier-passion” implique toujours du travail gratuit.
Le travail c’est comme l’amour : si on dit que ça doit faire mal, c’est juste toxique.
Il n’y a de “métiers-passion” que dans des secteurs qui n’ont pas de flouze.
L’argent ne “suit” jamais, il court devant. Parfois, on le rattrape.
Les seules personnes qui disent que l’argent n’est pas important en ont déjà.
Plus il y a de passion dans une offre d’emploi moins il y a de zéros sur le chèque.
On ne demande jamais à un trader s’il aime ce qu’il fait.
La honte devrait être du côté des gens qui sous-payent.
“Faire ce qu’on aime” est un droit, pas l’opposé de “bien gagner sa vie”.
"L'argent suivra" c'est comme "le marché s'autorégulera" : une belle théorie.
Être “payé·e en expérience” implique d’enrichir quelqu’un d’autre.
Il y a toujours de l’argent pour la business class du CoDir.

Voilà.

Parlons peu parlons cash

Bon, je crois qu’on a bien défriché là.

Perso, ça m’a fait du bien.

Evidemment, si vous en voulez davantage sur le sujet en attendant que je me chauffe à faire un master-article indigeste, je vous renvoie à nouveau à l’extraordinaire podcast Thune, ainsi qu’à la newsletter Plan Cash, et tiens, au podcast et au bouquin révolutionnaires de Titiou Lecoq sur l’argent dans le couple.

CDLT,

Sev


CDLT

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Par CDLT

Ancienne employée, dirigeante d’une entreprise dans le freelancing, j’aime mettre les pieds dans 1/ le plat 2/ les évolutions du monde du travail. Je m’attaque, toutes les deux semaines, à un sujet lié au taf qui pose problème, qui m’énerve, ou qui devrait changer, avec une verve de tenancière de PMU et des sources académiques.

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