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Par CDLT
4 juil. · 8 mn à lire
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Comment répondre aux questions nulles d'entretien d'embauche

"Pourquoi devrions-nous vous embaucher ?"

CDLT ce n’est pas que de la rage en 48000 signes avec un temps de lecture de 12 minutes en moyenne.

Ce sont aussi des guides pratiques.
Si CDLT existait en format papier, ça serait des petits fasicules illustrés à lire dans les toilettes.

Comme “Comment expliquer vos choix de vie à votre famille à Noël ?” ou Les erreurs à éviter pour un CV parfait. On a même offert des Messages d’absence pour les vacances et listé Les 10 choses à faire pour planter une négo de salaire.

En voici donc un nouvel opus, sur ce moment pauvre en fun et riche en gêne qu’est l’entretien d’embauche. L’entretien, c’est comme le CV : c’est claqué comme concept mais on n’a pas trouvé mieux. Alors on le fait naviguer sur un spectre assez large qui va du job dating sur un salon (la cruauté humaine a-t-elle des limites ?) aux “tournois de poker de recrutement” (la réponse est non) en passant par “se mettre une taule ensemble dans un bar” (mon pref) et le classique “interrogatoire type STASI des deux côtés d’une table de Comex bien trop large dans une salle sans âme mais avec vue”.

Ma pire création visuelle depuis le début de CDLT et c'est pas peu direMa pire création visuelle depuis le début de CDLT et c'est pas peu dire

L’entretien, c’est évidemment un duel d’hypocrisies. Tout le monde bluffe (“on a un super équilibre pro/perso”), tout le monde sait que tout le monde bluffe (“j’ai toujours rêvé de bosser dans le fret”) : on est juste là pour essayer de lire entre les lignes de tous ces craques et trouver une petite ficelle d’espoir à laquelle se raccrocher pour se dire que peut-être qu’on pourrait vivre un petit bout de chemin ensemble.

Et tout ça consiste en un seul exercice : poser des questions, répondre à ces questions. Un jeu d’enfant (= l’enfant là c’est la gamine dans l’Exorciste).

Et les pires d’entre elles, ce ne sont pas les questions difficiles, les vraies, celles qui poussent à un peu d’honnêteté ou d’introspection. Non, les pires c’est les questions semi-originales de recruteurs·ses qui se croient créatifs·ves mais qui ne font que répliquer des exemples pétax trouvés dans un top topito RH sur Le Figaro Recruteur pour cocher leurs petites cases. Ces questions-là (de type “combien de pièces de 25 cents sont nécessaires pour atteindre la hauteur de l’Empire State Building ?” ou “vendez-moi ce stylo” ou même simplement “si vous étiez un film vous seriez quoi ?”), si je devais me les représenter comme une personne, ça serait ce gars avec un t-shirt noir qui n’a que des potes mecs et “qui kiffe les blagues au 1000ème degré” (pardon, j’en profite pour faire un aparté, mais on n’a besoin QUE du second degré : le second degré comprend TOUT ce qui n’est pas littéral, y’a pas de gradation, pas de niveau, il se suffit à lui-même, foutez-lui la paix) (en plus j’aimerais ajouter, pardon, mais vous connaissez une seule personne qui dit “nan mais là c’est du 4ème degré” et qui est vraiment drôle ? voilà), et dont les seules références humoristiques proviennent de Kaamelott. Ces questions sont aussi peu inspirées qu’elles sont utiles.

Mais elles existent. Car il faut de tout pour faire un monde corporate. Et comme il faut bien y répondre quand elles sont posées (parce que, même si techniquement l’entretien c’est censé être une recherche mutuelle de match, on va pas se mentir c’est comme une recherche d’appart en loc, y’a tout de même un déséquilibre des pouvoirs) et que moi j’aime bien aider les gens : voici un guide, donc. Oui c’est plus ou moins ce que vous aviez déduit du titre et de la deuxième ligne, mais on est pas bien, là ? Détendez-vous.

Ce qu’on va faire, et c’est méchant je sais, c’est qu’on va définir un persona, ça sera plus simple : on va dire que votre interlocutrice c’est Carole, des RH. Vous l’imaginez comme vous voulez visuellement (mais elle a des lunettes d’une couleur vive, attachées par un petit cordon).

C’est parti.

1/ Vous voulez de l’eau, un café ?

Ah bah vous l’aviez pas vue venir celle-là. Ben oui patate, y’a un point d’interrogation à la fin, c’est donc une question.

La réponse attendue c’est “non, merci”. Parce que bon, y’a 18 candidat·es en shortlist (d’ailleurs vous le savez, après 9 entretiens il en restera deux dont vous, et on vous dira non parce qu’il fallait quelqu’un de plus senior alors qu’il était déjà assez évident y’a 3 mois quand tout ça a commencé que vous étiez pas senior) et Carole sur son front y’a pas marqué Starbucks. En plus y’a quand même des boîtes où le café est PAYANT et Carole elle va pas mettre les 50 centimes en note de frais (c’est mesquin) mais elle va quand même en avoir envie (car c’est mesquin).

Ma recommandation c’est de poser les bases dès maintenant. Prenez ça comme un questionnaire de Proust : trouvez le café qui vous représente le mieux, qui exprime qui vous êtes et saura trouver la fine ligne entre “être un·e employé·e formidable” et “poser ses limites”. Par exemple dites : “Alors un flat white ça serait super (= ça dit CSP+, prétentions salariales élevées), vous auriez du lait d’avoine ?” (= ça dit souci de la planète, vous avez benché pour trouver l’alternative la plus écologique) (= ou alors ça dit intolérance au lactose hein on peut pas tout contrôler). Quand la personne dira “euh non”, répondez “ah aucun souci, un americano fera l’affaire” (= ça dit flexibilité mais sans se faire marcher sur les pieds).

2/ Parlez-moi de vous…

Alors on est d’accord hein nous les féminazies, les préliminaires ça n’existe pas, mais si ça existait, cette question ça serait ça. Carole elle est pas encore dans le moment, elle a même, si on est honnête, pas très envie d’être là et vous laisse lancer les hostilités.

La réponse attendue est un résumé synthétique en 3 minutes comportant, liste exhaustive et impérative : des expériences de minimum 3 ans (même si le poste est junior) dans des boîtes du même secteur sur exactement le même poste, et une expression de motivation consistant à paraphraser les éléments de langage du site internet de la boîte.

Ma recommandation c’est évidemment de prendre cette question au sens le plus philosophique du terme. Qu’est-ce qui vous définit ? Quel type de personne essayez-vous d’être ? Comment agissez-vous dans les moments-clés ? Ah, tenez, moi j’ai une question qui me taraude : chez le coiffeur vous fermez les yeux, vous, au bac à shampooing quand on vous masse la tête ? La question se pose, on est d’accord ? D’un côté, le massage de tête est tout de même, pour une grande majorité des gens, dans le top 3 des sensations les plus orgasmiques hors stimulation des zones dédiées (évidemment le St Môret est aussi dans ce top 3) et ça mérite CLAIREMENT une petite extinction des feux pour pouvoir en profiter pépouze. De l’autre côté, si vous montrez si visiblement que vous kiffez, d’une part vous avez soudain les yeux fermés dans un lieu public, d’autre part ça signifie que vous êtes en train de payer une personne pour qu’elle vous procure un plaisir qui tient de la volupté. Et soudain, c’est moins pur, quoi. Enfin bref, vous voyez, c’est de ce genre de chose dont je recommande de parler, là. Carole elle a déjà votre CV, et bien sûr qu’elle l’a déjà lu, voyons.

3/ Quels sont vos plus grands défauts ?

Ouais, écoutez, Carole elle est comme vous et moi : parfois elle choisit la facilité. Parfois elle fait un Deliveroo alors que y’a des asperges au frigo, parce que voilà les asperges c’est long à cuire et après ça lui fait puer le pipi, et elle SAIT BIEN que c’est une excuse pour masquer la vérité, qui est que parfois Carole elle a la flemme. Et sachez-le, Carole elle est pas fière d’elle dans ces moments-là, non, elle sait bien que c’est nullos, donc ayez un peu d’empathie, merde.

La réponse attendue : évidemment, les classiques défauts qui sont des qualités. Evitez “perfectionniste” parce que Carole, elle a beau avoir un peu de tolérance avec sa propre flemme, elle n’en aura aucune avec la vôtre. Carole attend des trucs du genre “j’ai parfois du mal à déléguer” (= ce qui tombe bien puisque dans ce job, c’est à vous qu’on délèguera) ou “je prête trop attention aux détails car j’aime que tout soit parfait” (= ça crie “corvéable” on a-dore).

Ma recommandation, c’est évidemment d’y aller en mode full-franchise. Vos collègues découvriront votre côté sombre un jour ou l’autre, donc ça serait con de se retenir, et ça vous fera ça de moins à penser. Dites-le, que vous supportez pas les imbéciles et que ça se voit sur votre visage. Dites-le, si vous êtes un peu klepto. Dites-le, si vous avez pas donné à une asso depuis 2012. Dites-le, si vous procrastinez pendant des semaines et bouclez les trucs la veille à 23h. Dites-le, si vous êtes une grosse pince qui donnera jamais plus de 5€ aux cadeaux de départ. Dites-le si vous pensez sincèrement que vous avez jamais tort. Voilà, Carole soit elle vous aime comme vous êtes, soit c’est pas le bon match.

4/ Racontez-moi votre plus grand succès

Ben oui, un entretien d’embauche c’est plus ou moins comme un post LinkedIn avec un reach limité à une personne. On est là pour parler de WIN d’un côté, et pour faire semblant de croire que c’est vrai de l’autre.

La réponse attendue est que vous avez mené avec succès un projet difficile (du même type que ceux que vous aurez à mener dans ce job) avec un esprit de team player, dans des délais impossibles, sans budget et avec des résultats météoriques.

Ma recommandation est plutôt de trouver un moyen de parler de vous à travers cette question (parce que pardon, le sujet de cet entretien, c’est vous, que je sache), mais avec humilité, attention. Ce n’est pas le moment de balancer que vous avez sauvé un enfant d’un incendie (gardez ça pour LinkedIn) ou fait de l’humanitaire, non. Trouvez quelque chose qui tient de la synecdoque là (ou de la métonymie on s’en fout) : un petit détail qui vous raconte entièrement. Un petit succès qui dit à quel point vous êtes quelqu’un de grand, comme “D’avoir réussi à me lever ce matin alors que le RN est aux portes du pouvoir”.

5/ Les questions originales comme “combien de mde pizza sont mangés chaque année aux États-Unis ?”

Ecoutez, la vie de Carole elle est pas toujours folichonne, voilà, on va se le dire. La dernière fois qu’elle a ri aux éclats, c’était devant Intouchables. Donc face à ce genre de question, je suis bien d’accord que vous auriez le droit de pouffer, de lever les yeux au ciel voir de dropper votre mic imaginaire avant de quitter la pièce en trombe, mais laissez-lui ses petits kifs, à Carole.

La réponse attendue c’est pas la bonne (car Carole ne sait pas non plus, franchement quand elle regarde Qui Veut Gagner des Millions elle dépasserait rarement les 12000€), ce qui intéresse Carole c’est 1/ de voir comment vous réagissez quand vous êtes mis·e au pied du mur dans une situation de merde (= ça va être important pour le job) 2/ d’assister à votre processus de réflexion. Donc Carole elle attend, là, que vous réfléchissiez tout haut, et que vous disiez n’importe quoi avec confiance (= ça va être important pour le job). Alors c’est parti, lancez-vous dans un périlleux exercice de multiplications du nombre d’habitants des US x la taille approximative d’une pizza x un wild guess du nombre de pizzas mangées par personne par an en moyenne et oui, bien sûr qu’on s’en fout, mais voilà, Carole a coché sa petite case “pensée créative” et sa petite case “capacité à travailler sous pression”, et elle est contente (et vous devriez l’être aussi, parce que vous savez comme moi que la seule pression que vous supportez en vrai c’est la Heineken).

Ma recommandation c’est d’oublier tout ce que je viens de dire et de fight back. À question pourrie, réponse pourrie. Vous voulez vraiment bosser dans une entreprise qui laisse passer ce genre de connerie ? Et puis quoi encore, des bouquets de fleurs pour le 8 mars ? C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres, et la porte c’est NOW qu’on la ferme. Carole, elle somnolait vaguement en cochant ses cases, eh bien réveillez-la pour toujours. Donnez-lui des insomnies pour le reste de sa vie. Parlez-lui de l’impact écologique de la pizza pepperoni sur la planète, ou faites directement un saut latéral, parlez Pizzagate et montée du conspirationnisme, OU TIENS embrayez direct sur la future élection de Trump et son potentiel impact géopolitique. Bref, montrez que vous, vous êtes là pour aborder les vraies questions, pas pour tortiller du derche sur des faux problèmes.

6/ Et… quels sont vos projets de vie ?

Remarquez la finesse. Un tournage autour du pot digne des plus grand·es céramistes. Pourtant, si vous êtes une meuf aux alentours de 30 piges, vous comprenez directement le sens de la question. La question, elle concerne votre utérus (d’ailleurs, quoi que vous fassiez de votre utérus, si vous voulez tester les nausées du premier trimestre je vous recommande cet article de l’Express en 2007 sobrement titré “Femmes : comment rassurer les recruteurs” où l’on apprend concernant les enfants qu“il serait étonnant qu'une femme n'en veuille pas si elle jeune” et que "Si à la question “Voulez-vous des enfants ? “votre réponse est non, cela peut être jugé bizarre et suspect, mais si la réponse est oui, alors le recruteur peut craindre un manque de disponibilité” quelle pépite).

La réponse attendue est “une vie réussie, c’est une vie dédiée au travail” suivie d’une liste très précise de ce que à quoi vous êtes prêt·e à renoncer gaiement pour atteindre votre objectif (idéalement si vous pouviez fournir un certif médical attestant d’une ligature des trompes ça serait topito) (à défaut une preuve d’infertilité).

Ma recommandation c’est que quitte à parler projets de vie, c’est carrément le moment de piocher dans votre bucket list. Vous voulez faire la Route 66 en Cadillac ou en Harley, voir une aurore boréale, nager avec des requins, visiter Petra, écrire un livre, faire une retraite silencieuse avec des moines, manger du serpent, construire une tiny house, devenir un ninja gratuitement, ouvrir une maison d’hôtes, traverser l’Atlantique en solitaire ? Go. Ne lésinez pas sur les détails, on veut sentir le soleil sur votre peau, la joie dans vos veines. L’idée, ce n’est pas seulement que Carole en oublie vos enfants réels ou potentiels, l’idée c’est qu’elle sorte chancelante, en pleine crise existentielle, se demande “mais moi, qu’est-ce que je fais de ma vie ?” et qu’elle claque sa dem dans la foulée pour réaliser ses rêves.

7/ Quelles sont vos prétentions salariales ?

Ah voilà. Alors au fond, que Carole vous demande ça au premier échange c’est plutôt pas si mal, parce que y’en a qui parlent thune qu’au dernier round et se permettent de faire des têtes de choquance absolue comme s’il y avait eu un malentendu et qu’il était de votre responsabilité. Là au moins, ça passe ou ça casse mais tout le monde gagne du temps. En revanche, parlons du mot “prétentions” : on est d’accord que ça sous-entend que vous avez quand même une haute idée de vous même rien qu’à penser pouvoir exiger rétribution pour votre travail ?

La réponse attendue c’est évidemment le SMIC, plus ou moins 10% (= oui cette dernière option est impossible mais ça montre que pour vous, bottom is the limit et c’est ça qu’on veut).

Ma recommandation n’est pas l’excellent conseil de Cindy Gallop, qui est d’annoncer “le chiffre le plus élevé que vous pouvez prononcer tout haut sans pouffer”, ni cet autre excellent conseil qui est un retour à l’envoyeur de type “ben c’est plutôt à vous de me dire ce que vous avez en tête pour le poste”. C’est pas non plus le moment de parler de valeur de vos compétences.
Non, c’est le moment de parler de coût de la vie. Là, le mieux c’est de le faire dans l’autre sens : commencez par énoncer le montant de votre loyer/crédit, puis celui de vos courses (= prenez l’addition Monop plutôt que Lidl, ça dit “je fais mes courses à 21h30” ça fait workaholic c’est bien), vos charges (le prix de l’énergie sérieux), votre budget sorties, votre budget clopes/drogue (= y’a pas de work hard sans play hard), votre budget vacances (= vous aurez bien mérité votre repos), votre budget streaming (= avec la multiplication des plateformes, c’est pas un détail), le coût d’élever des enfants (= si les enfants sont déjà là hein, sinon n’oubliez pas que “le recruteur peut craindre un manque de disponibilité”), vos différents abonnements à des médias pour suivre l’actualité (= la citoyenneté ça passe par l’information), vos dons à des associations (= listez-les en détail et essayer de couvrir tous les sujets), n’oubliez évidemment pas votre budget soin/beauté (= trouver un coiffeur chez qui on peut fermer les yeux parce qu’il fait pas le shampooing avec des gants en latex qui tirent sur les veuch, ça a un prix), ajoutez votre budget mode (= c’est limite des frais de représentation, c’est l’image de la boîte qui est en jeu) (si vous êtes en télétravail ne comptez que 50% pour le haut, c’est du bon sens), incluez d’emblée votre budget “cadeaux pour des pots de départ” (= ça vous permet de demander le turnover au passage, ça peut être un gouffre), le budget sport (= esprit sain corps sain toussa), listez également le coût de vos hobbies (= hé oui c’est pas qu’une case dans le CV, c’est aussi un poste de dépenses), ainsi que les soins à votre animal de compagnie (= faut bien payer la piscine du véto), ATTENTION N’OUBLIEZ PAS LE PSY vous risquez d’en avoir besoin, et là globalement on est a priori déjà autour d’un salaire à 6 chiffres. Multipliez par les projections d’inflation moyenne sur 3 ans, arrondissez au-dessus (pour la négo), et paf.

Voilà, j’espère que ça vous a été utile.
Je vous épargne les autres classiques de type “Vous vous voyez où dans 5 ans ?” car la réponse est évidente : en train de crever de chaud dans un pays gouverné par l’extrême-droite. Ou “si vous aviez un superpouvoir ce serait quoi ?” car la réponse est évidemment “créer de la valeur”.

Je vous souhaite tout le meilleur dans vos aventures professionnelles, et vous donne rendez-vous d’ici deux semaines dans la France d’après.

Déconnez pas dimanche,

CDLT,

Sev