La Tired Generation: anatomie d'un épuisement systémique
Je commençais le dernier article (Ça va bif-bof ou je rêve ?) en disant que je l’écrivais pour me sentir moins seule, en espérant que ça vous fasse pareil. EH BEN, WE ARE LEGION si j’en crois vos messages et le taux d’ouverture du bail (j’ose à peine le dire tellement ça fait république bananière) (98%…) (même Poutine il oserait pas).
BREF, si j’ai pas la tête à parler d’autre chose, j’ai la tête à prendre un peu de hauteur. Et ça tombe bien : cette semaine, Mag (que je pourrais qualifier de “ma collaboratrice” si j’avais ni dignité ni respect pour elle) (nan mais c’est un vrai sujet ça : “collègue” ça nous suffisait pas comme mot ? C’était passe-partout, non-genré, ça faisait le taf, mais nooon il FALLAIT qu’on aille chercher un terme dégueulasse évoquant les heures les plus sombres de notre Histoire) (je sais pas pourquoi je m’énerve) (mais ça fait du bien), bref, Mag m’a dit “y’aurait pas un sujet global qui serait : LA FATCHIGUE ?”
La hauteur de cette analyse m’a saisie aux tripes comme un mauvais rouge qui tache. Et paf, ça fait un article.
Au fait : d’habitude, j’utilise au max l’écriture inclusive/le point médian, mais comme j’ai l’intention d’employer un nombre plétho-astronomique d’adjectifs synonymes de “fatigué”, je vais pas trop le faire, là, pour des questions de confort visuel, mais sachez que j’inclus TRÈS CLAIREMENT les meufs dans mon analyse.
Vous, moi, là, ne serions-nous pas un peu… vous voyez… un peu comme des pneus ? Genre, crevés, à plat ? Ou comme des fringues en machine : lessivés, rincés, essorés ? Ou comme le produit qu’on attendait les soldes pour l’acheter mais on n’aurait pas dû : épuisés ? Ou comme le singe d’Aladdin : à bout ?
Bref, ne serions-nous pas un poil fatigués ?
Elle est difficile à définir, cette fatigue, parce qu’elle est micro et macro. Elle se manifeste autant par nos cernes violacés dans le miroir le matin que par le long, très long soupir qu’on pousse après avoir fait une simulation retraite. Autant par le petit coup de barre post-prandial que par l’impression qu’on n’aura même pas la force d’attendre la prochaine deadline du GIEC. Elle est là depuis aussi loin qu’on se souvienne et on a appris à vivre avec, en répétant “naaaann c’est chaud en ce moment, mais ça devrait se calmer un peu la semaine prochaine” chaque semaine, jusqu’à ce qu’on meure.
D’ailleurs, vous trouverez des gens qui appellent les Millennials la “Tired Generation”, ou même la “Burnout Generation”, une génération dont l’épuisement serait structurel car on les a élevés à performer en permanence et dans tous les domaines, avec la promesse que leurs efforts seraient récompensés et leur assureraient une stabilité, sauf qu’en en fait non (cf mon article sur le sujet). Mais y’en a d’autres qui disent que c’est la Gen Z, la “Tired Generation”. Perso, voici ma définition : si vous êtes en vie actuellement, que vous ne résidez pas dans une grotte ou sur une île déserte, et que vous n’êtes pas rentier·ère, alors vous êtes la Tired Generation. Et si vous avez des enfants mineurs, oubliez tous les critères, vous l’êtes quoiqu’il.
Car je crois bien que la fatigue n’est pas juste un problème de société… elle en est l’un des piliers.
Je vous explique, mais évidemment on va commencer par une séquence définitions.
C’est pas facile de dresser un tableau exhaustif de notre exhaustion. Mais j’ai trouvé un modèle éclairant dans le travail du Dr. Saundra Dalton-Smith, son bouquin sur le sujet, Sacred rest, et son 7 Types of Rest Framework™. Autant vous dire que le combo bestseller de dev perso + usage du mot “sacred” + ™ + TedX serait d’habitude de nature à me faire fuir mais 1/ franchement c’est plein de bon sens 2/ je suis un peu claquos donc on va s’en contenter.
Elle identifie 7 types de fatigue (toutes entremêlées), qui expliquent assez bien pourquoi en fait non, c’est pas juste en dormant mieux que tout ira mieux. Je vous les liste, car je trouve dans l’accumulation une forme de déculpabilisation assez thérapeutique.
No shit Sherlock. Bon, déjà, on dort pas assez. Y’a débat sur le nombre d’heures de sommeil qu’il nous faudrait (le consensus va plutôt vers : ça dépend des gens), mais là où y’a zéro débat, c’est qu’on les fait pas. Pour plein de raisons évidentes. Par exemple, on est 15-20% en France à souffrir d’insomnie, la moitié à cause de l’anxiété et du stress. 39% à regarder nos écrans au pieu alors que c’est pas ouf ON SAIT. 61% à se coucher trop tard. Bon moi derrière ça, je ne vois qu’une chose : quand on a fini de taffer (et MÊME SI on finissait à des heures décentes), bouffer, faire les trucs qu’il y a à faire, y’a rien de plus désespérant que de se dire “EH BEN SUPER, il me reste donc 1h38 de temps pour moi, you-hou”. Et donc on fait des trucs maxi-contreproductifs qu’on regrette le lendemain comme de doomscroller jusqu’à pas d’heure, sortir trop tard, binge-watcher de la soupe oubliable, qui sont juste des tentatives illusoires d’essayer de récupérer comme on peut le temps qu’on nous confisque.
Rien qu’à l’idée de la décrire, je suis lasse Vegas, donc on va faire des bulletpoints :
too much information : je déteste le terme d’infobésité, mais bon, hein, suivre tous les cataclysmes - présents et annoncés - du monde entier en direct live, c’est pas ultra-mindful. Ajoutons les anxiétés globales, genre climatique, politique et compagnie et on a de quoi être KO du chaos.
lézécran : on passe quand même notre journée de taf sur un écran moyen, et puis on se dit wow, enfin fini, et si j’allais me détendre avec un plus petit écran ou non tiens, un plus gros écran. Je vous sors pas des datas sur les effets des écrans, on est pas dans Le Point.
la séparation pro/perso en papier à cigarette : sans même parler des travers du droit à la déconnexion, le truc avec beaucoup de métiers, notamment intellectuels, c’est que c’est pas évident de cesser d’y penser en-dehors des heures de bureau, a fortiori quand on télétravaille de chez soi.
trop de choix : on a globalement beaucoup trop de choix, et on subit beaucoup trop de trucs, tous en même temps, à tel point qu’après la vague “quiet”, le nouveau mot à la mode c’est “fatigue” (prononcez à l’anglaise, “fetchig” c’est plus classe) : “crisis fatigue”, “streaming fatigue”, “social media fatigue”, “decision fatigue”, “climate fatigue”.
la charge mentale : ouais alors ce terme s’est dilué comme “pervers narcissique” et en est venu à désigner tout ce qui répond vaguement à la définition “avoir des trucs à penser”, mais bon, là j’aimerais insister sur celle de tous les gens qui doivent penser aux trucs pour elleux, MAIS AUSSI pour les autres, et par là j’entends principalement les femmes, me lancez pas on va jamais finir cet article.
Bref, on trop de trucs dans la tête, et résultat —> cf. point 1.
Là on se parle du poids, dans un monde un poil troublé-troublant, de gérer nos émotions, mais aussi celles des autres (surtout quand les autres ne les gèrent pas eux-mêmes et qu’on doit 1/ se taper leurs réactions à la con 2/ faire le taf de leur psy vu qu’ils en ont pas), et subir celles de Donald Trump et d’Elon Musk TOUT EN gardant le smile, surtout dans le travail (cf. cet article).
Ah celle-là est plus surprenante.
Le docteur Dalton-Smith distingue les relations qui apportent de l’énergie de celles qui la vampirisent. Le plus évident dans le côté draculesque de la force, c’est les interactions “forcées” (écouter les détails du super week-end de Jean-Kévin à la machine à caf, “networker”, small talker dans l’ascenseur, trouver un truc nouveau à commenter sous le 159ème post LinkedIn du mois “J’ai le plaisir de vous annoncer que j’occupe désormais”, ou répondre “Merci pour tes retours” à un mail plutôt que “Mais écris-la toi même ta prez si t’es si fort, ah MAIS PARDON tu peux pas, t’as pas écrit une slide depuis 2012, ta version de Powerpoint est tellement dépassée qu’elle est bloquée par le firewall”) et les relations toxiques.
Mais en fait, il y a aussi toutes les relations, pro comme perso, qu’on maintient sans les questionner, parce que c’est comme ça et qu’il y a une forme de pression à avoir une vie sociale riche. Genre ce pote qu’on a depuis 20 ans et oui bon, il est devenu conspi c’est maxi-chiant mais voilà, on va pas arrêter de le voir ça serait dommage après tout ce temps. Ou ce pote qui oublie notre anniv mais retrouve notre num dès que ça va pas dans sa vie. Ou ce pote qu’a besoin d’aide pour son déménagement mais a poney pour le nôtre. Vous voyez.
Ah, on arrive dans les trucs plus inventifs, j’aime bien.
Là on se parle d’hyperstimulation sensorielle. Et quand on y pense deux minutes, une journée typique d’une personne qui, par exemple, vit en ville, va au boulot et fait des trucs, c’est quand même assez épileptico-stroboscopico-cacophonique.
Sonnerie du réveil, couette chaude —> chambre froide. Lumière bleue. Ding. Radio/télé/podcast. Circulation, klaxons, sirènes. Annonce sonore de retard, crissage, pubs avec des jeux de mots nazes, odeur de pipi, odeur de transpi, barre humide, contact physique avec des inconnus. Ding. Néons, chauffage trop chaud ou clim trop froide. Paco Rabanne de Jean-Kévin, calls de Jean-Kévin dans l'open space, clavier maltraité par Jean-Kévin, poisson de Jean-Kévin réchauffé au micro-ondes mangé bouche ouverte. Ding. Petits points rouges. 48 onglets ouverts. Doung-doung-di-doung-doung de Teams. Odeur de clope, odeur de vape, fausse odeur chimique de pain au choc devant la Brioche Dorée. Homme étrange dans la rue qui… ok, il fait caca. Pub dans la rue, pub sur Youtube, pub à la télé, pub sur mobile. Pot d’échappement de la Merco de Jean-Kévin. Ding. Re-transports. Lumières vives, musique à fond, citations inspirationnelles de coach sportif. Reels, TikTok, images de guerre, memes, gens qui font le poirier, animaux mignons, séries avec musique trop forte comparée aux dialogues / lieu de convivialité où les gens crient. Re-écrans. Dodo. Ou absence de, cf. point 1.
C’est déjà pas mal niveau stimulation sensorielle. Alors imaginez que vous êtes - et cette personne n’est pas DU TOUT inspirée de moi - quelqu’un qui évite ardemment de rester avec ses pensées, ce qui vous pousse à mener toutes les activités susmentionnées TOUT EN écoutant un podcast ou de la musique, et à remplir chaque moment creux des activités susmentionnées par des jeux débiles sur votre téléphone.
Eh bien oui ça fait beaucoup pour les sens y’a pas à dire.
On va faire plus court hein, vu qu’à ce stade de l’écriture j’en suis atteinte : c’est par exemple quand notre job/activité requiert d’avoir des idées (vous savez, ce truc qui demande de l’espace mental et du temps) mais 1/ constamment 2/ pour hier, et qu’en prime 3/ quand on n’a plus de jus, on culpabilise.
Celui-là j’aurais naturellement tendance à l’évacuer d’un ricanement méprisant. Mais en fait, peut-être pas. Peut-être que dans tout le bordel ci-dessus, ça nous arrangerait quand même pas mal d’avoir quelques certitudes. De croire en des trucs. Je parle même pas de Dieu ou de chakras. Je parle de choses simples, comme “bien travailler = bien gagner sa vie” ou “Etats-Unis = démocratie”, ou bien “on a tiré les leçons de la Seconde Guerre Mondiale”. Des trucs simples, basiques.
Et oui, ça m’ennuie de parler de perte de sens (j’ai l’impression d’être Valeurs Actuelles), mais bon vu que des gens élisent des clowns autoritaires, croient que des illuminatis reptiliens satanistes dominent le monde, que le pire milliardaire c’est Bill Gates (de tous les milliardaires, franchement) et qu’on sera tous sauvés par les aliens, peut-être que oui, bon.
Si cette liste vous a fait le même effet qu’à moi, vous avez ressenti le doux plaisir de voir des mots clairs posés sur une sensation confuse ET l’amer constat que ouais, bon, ça va pas être si facile de se reposer.
Car oui, on en arrive enfin au sujet de l’article :
C’est un titre long, pompeux, funèbre, mais voilà, si vous me connaissez vous savez ce que je vais dire : on nous présente la fatigue comme un problème personnel auquel on peut apporter des solutions individuelles et EN PRIME on nous fait culpabiliser quand on n’y arrive pas. Alors que la fatigue n’est pas un problème, c’est un des éléments constitutifs de notre société. Si.
Je ne dis pas qu’on ne peut pas lutter. Je dis juste qu’à moins de tout plaquer pour aller vivre dans une ferme autonome dans le bocage vendéen, la vie actuelle est livrée en package avec la fatchigue. Rythmes de travail absurdes, business models fondés sur le temps passé qui consistent à vendre plus de temps que celui dont les gens disposent, multiplication des injonctions chronophages*, surcharge d’information, charge administrative, hyperconnexion, gestion de nos besoins primaires tout en assurant les secondaires, le tout dans un monde incertain, et en se faisant traiter de flemmasses par la même génération qui, à nos âges, pouvait s’acheter une baraque pour l’équivalent d’un ticket de métro neuf, deux vaches, 4 bananes et la promesse du maintien du plein-emploi.
*nan mais pour démontrer le bail, vous savez quoi, je vais juste prendre un exemple primaire, la bouffe : il faut manger équilibré bien sûr, cinq fruits et légumes par jour, manger-bouger, avoir un bon coup de fourchette MAIS rester mince, cuisiner maison, faire attention à l’origine, à ce que ça soit de saison, pas trop transformé, qu’il n’y ait pas d’additifs néfastes, que ça soit produit dans des conditions acceptables, privilégier le bio mais attention parfois il vient de loin, limiter sa consommation de viande mais attention parfois les alternatives sont transformées, adopter le low-carb/keto/paléo selon la tendance du moment, attention aux intolérances, attention au suremballage, ah oui et idéalement ne pas avoir à vendre un rein pour faire ses courses, et ne surtout pas oublier que la nourriture, c’est tout de même du plaisir) (vous pouvez appliquer ça au sport, à l’éducation des enfants, aux loisirs, faites-vous plaiz)
Avouez. Notamment au travail. Tout le monde est claquette, d’ailleurs c’est même un concours de qui est le plus claquette (si je tentais un jeu de mot bilingue, je dirais que c’est un concours de beat). Au fond, si on est pas un poil exténué, c’est qu’on en fait pas assez. Ça change, mais lentement : “je suis sous l’eau” reste un marqueur de statut et la preuve qu’on s’est rendu·e indispensable. La fatigue, même extrême, n’est même plus une alerte tellement elle est courante, le burnout est un fait de la vie (en France, ça varie selon les études, mais on dit que 500k personnes seraient en souffrance psychique au travail, dont 7% en burnout, j’pense que c’est sous-estimé).
L’injonction à la productivité elle-même nourrit cet engrenage : sous couvert de se libérer du temps, les gourous de la productivité nous assaillent d’injonctions à nous lever aux aurores et à découper notre vie en multiples activités maxi-efficaces. Même dans les loisirs, comme le sport, on doit performer (je vous renvoie à mon article sur le sujet).
Ce qui est magistral avec le capitalisme, c’est qu’il exploite toute la chaîne de notre fatigue. Il y a des gens qui nous vendent des outils et méthodes pour travailler plus MAIS AUSSI pour éviter de s’épuiser en travaillant plus MAIS AUSSI pour se remettre quand on a craqué à force de travailler plus.
On est enjoints à se défoncer, mais on est aussi enjoints à se reposer, idéalement 1/ efficacement 2/ payamment.
Webinars, bouquins et podcasts sur la productivité. Techniques : pomodoro, power nap, sommeil fractionné, morning routine. Applis de méditation. CBD. Compléments alimentaires cools avec, c’est bizarre, toujours un ingrédient actif reuch comme le safran ou des champis. Et attentions, il y a les produits pour le corps, mais aussi pour l’esprit. Boissons détox, énergisantes, ressourçantes, calmantes. Contenu “easy watching” riche en cliffhangers pour se vider la tête. Objets connectés qui trackent notre activité et nous expliquent qu’on a mal dormi même quand on a l’impression d’avoir bien dormi. Livraison de bouffe à domicile parce que flemme. Matelas et oreillers ergonomiques. Playlists zen, alpha waves et sons de la nature (le saviez-vous ? en 2021, des playlists pour dormir ont chopé plus de streams que Lady Gaga). Cures détox, yoga, retraites, luminothéraphie, sound healing et tutti quanti.
Au fond, le consommateur au bout du roul est le consommateur parfait : toute la thune qu’on gagne en travaillant trop, on n’a pas vraiment le temps d’en profiter, donc on la réinvestit dans des moyens de continuer à travailler trop.
On arrive au passage juteux de cet article. Ça sonne maxi-conspi, je préviens. Car si le consommateur fatigué est le consommateur parfait, je pense que ça va bien plus loin et que ça a des impacts bien plus grands.
Je pense que l’employé fatigué, qui n’a ni la force de revendiquer ni la force de chercher un autre taf, est aussi l’employé parfait. Et globalement, si l’on en croit l’état du syndicalisme et les stats (qui disent peu ou prou que 2/3 des Français songent à penser à envisager de changer de poste), l’employé qui reste en poste bien qu’au bout du roul est la norme. Plein de boîtes partent du principe que personne n’est irremplaçable, et préfèrent essorer des gens puis les laisser partir d’eux-mêmes quand vraiment il n’y a plus une once de force vitale en eux, parce que ça a l’air moins coûteux (ça l’est pas).
Mais, et c’est là que je fais un saut dans le vide : je pense que l’électeur fatigué est aussi l’électeur idéal, du moins pour les forces réactionnaires, populistes, nationalistes et autoritaires qui prospèrent sur l’usure démocratique. Surmené, avec autre chose à foutre (comme par exemple, gagner sa vie), assailli d’informations complexes et contradictoires, l’électeur fatigué ne va pas chercher les sources, décortiquer les programmes, suivre les débats, embrasser la nuance. Il n’y a plus qu’à lui servir du raccourci, de l’info fausse mais séduisante et bien packagée, des explications simplistes de type “c’est la faute des immigrés” ou “votez pour moi, tout redeviendra comme avant” et du leader charismatique, et l’électeur fatigué fait des choix engageants avec des infos limitées. C’est facile de pointer du doigt cet électeur, de se gargariser de voir des gens qui ont voté pour Trump regretter leur choix (version longue - version tweet), mais c’est aussi foutrement injuste de ne pas prendre en compte son environnement, économique et informationnel, et improductif de l’appeler à la complexité et à la nuance alors que… le monde entier est fait pour l’en empêcher. Il serait temps que les partis plus modérés s’en rendent compte, si vous voulez mon avis à deux balles.
Bon, a priori, à ce stade de la lecture, on réalise qu’on a des raisons d’être un peu au bout du scotch, que c’est pas intégralement de notre faute, mais que ça va pas s’arranger tout seul. Moi là, j’suis ni politicienne ni gourou, mais j’ai deux propositions.
Je vais même pas en faire un pavé (car j’ai déjà fait un pavé sur la réduction du temps de travail) (et un autre pavé sur l’évolution de notre rapport au temps) (et encore un pavé sur les pauses dans une carrière) mais il y a une urgence sanitaire, sociétale et politique à rendre leur temps aux gens.
Oui, je parle de semaine de 4 jours, oui je parle de télétravail, oui je parle de flexibilité, oui je parle d’arrêter de travailler plus, et même je parle de travailler moins. À une époque, ça sonnait utopiste, aujourd’hui, comme disaient les L5, c’est juste une question de survie. Ce n’est pas du luxe, ce n’est même pas la panacée, mais ça me semble le premier pas nécessaire à toute forme de transformation positive.
Alors je ne vous cache pas qu’avant d’écrire cet article, tout le mouvement Rest is resistance me laissait un peu pantoise. L’autrice, Tricia Hersey, qui est super par ailleurs, avait même créé un Ministère de la Sieste, et moi, je trouvais ça un peu cute l’idée de dormir pour s’extraire de la course à l’échalote de notre monde pété, mais aussi pas très transformatif, par définition.
Et en fait, ben, j’ai changé d’avis. Enfin pas sur la sieste, mais sur le repos comme résistance.
Je ne crois pas que s’extraire du monde soit la solution. Mais je pense que le repos est la mesure préliminaire nécessaire pour affronter ce qui nous tombe dessus et va continuer à nous tomber dessus, et éventuellement espérer y faire quelque chose.
Et il ne s’agit pas que de dormir. Pour en revenir au Dr Dalton-Smith, je vous laisse creuser son taf si ça vous intéresse (creusez pas trop non plus, je suspecte qu’elle finit par vendre une routine avec 48 techniques de repos à intégrer dans une journée, car, c’est connu, rien de mieux pour s’aérer la tête que d’ajouter des trucs à sa to-do) mais elle explique que pour chaque type de fatigue, il y a un type de repos différent. Bien sûr, pour la fatigue physique, il y a dormir, mais aussi des activités type yoga qui donnent de l’énergie. Pour la fatigue mentale et sensorielle, vous imaginez bien, il y a la méditation, et les pauses sans écran, surtout avant de dormir, mais aussi savoir se créer des moments de silence. C’est plus rigolo pour les autres : pour la fatigue créative il y a la nature, l’art, faire des activités créatives sans but précis. Pour l’émotionnelle il y a “dire non” et “exprimer ses émotions”. Pour le repos social, limiter les interactions énergivores, se recentrer sur celles qui font du bien et rechargent les batteries. Bref, plein de bon sens.
Je l’ai déjà dit : je me sens profondément impuissante face au désastre Made in US. Mais mon mode de réaction principal, ces temps-ci, consiste à compenser en suivant chaque étape dudit désastre avec application pour être vraiment sûre de ne rien louper. Ce qui ne sert absolument à rien. Ni pour le monde, ni pour moi. Au contraire, car comme vous savez sûrement, c’est volontaire. La technique c’est précisément Flood the zone. Nous abrutir de nouvelles sidérantes dans l’espoir qu’on perde complètement nos moyens. Et bon, ben ça marche en ce qui me concerne. Face à ça, Ezra Klein, qui est l’une de mes bouées dans la tempête, donne une première solution : arrêter de croire que cette avalanche d’actions est une preuve de pouvoir, alors qu’elle est justement l’inverse. Mais je pense (et sa mère j’ai conscience que 1/ ça sent quand même salement le dev perso 2/ je suis un cordonnier très mal chaussé étant donné que je termine cet article un dimanche et que ce n’est qu’un seul des trois items de ma to-do du jour) je pense qu’il est de notre devoir citoyen de prendre activement du recul et du repos quand on se sent submergé. Je ne vois pas comment, sans ça, on gardera la tête claire et la patate pour riposter face au déferlement de mierda qui promet de continuer à nous arriver dessus.
Voilà.
Allez, bon courage hein,
Sev